ABELARD (1079-1142) et HÉLOÏSE (1110-1164)
« En doutant nous venons à la recherche, en cherchant nous percevons la vérité » dixit Abélard.
Professeur, philosophe et théologien, Pierre Abélard est né à Le Pallet un bourg de Bretagne d’une famille de la petite noblesse. Surdoué pour son époque, il se retrouve à Loches entre 1093 et 1099 où il a comme maître Roschelin (célèbre pour son introduction du nominalisme en logique). Il arrive à Paris vers 1100. A l’Ecole cathédrale de Paris, où il est un brillant élève, il a comme maître Guillaume de Champeaux (archidiacre de Paris et chanoine de Notre-Dame).
Dialecticien avéré maniant le langage et la grammaire à merveille, ses idées agacent même les grands maîtres au point de lui valoir des déboires. Il ose par exemple confronter foi et raison en abordant la théologie (sacrée) avec la rigueur et la méthode du philosophe. Il est se met à la recherche de lien entre la science et la religion, et devient vite un maître de la logique, dépassant ses maîtres. Il est le premier à utiliser le vocable théologie, pour désigner un ouvrage exclusivement consacré aux religions. Écarté pour ses idées de l’enseignement, il crée sa propre école en 1110 sur la Montagne Sainte-Geneviève pour instruire sur la rhétorique et la philosophie scolastique. Il y reçoit des auditeurs de toutes les nations. Cette école deviendra un siècle plus tard Université (la Sorbonne installée par Robert de Sorban). Il Mais il revient par la grande porte, quand on lui offre une chaire dans la prestigieuse Ecole Cathédrale de Paris où la gloire l’attend. Les élèves affluent toujours de partout même de l’étranger pour suivre le maître. Chassé de nouveau par ceux qui combattent ses idées, il se retrouve moine à l’abbaye royale de Saint-Denis, ermite au Paraclet (Champagne) et même abbé réformateur en Bretagne. Il revient à Paris enseigner quelques années, avant de se retirer à cause de ses déboires avec l’Eglise. Il restera le logicien, l’humaniste, le moraliste le plus célèbre de son époque. On lui doit d’être l’un des principaux fondateurs de la méthode scolastique, mais aussi l’acteur le plus important du renouveau des arts du langage de son époque. « En doutant nous venons à la recherche, en cherchant nous percevons la vérité » dixit Abelard.
La rencontre avec Héloïse :
La jeune fille est accueillie par son oncle Fulbert (chanoine laïc dans Notre-Dame) dans l’enceinte de Notre Dame. Elle est déjà brillante avec ses connaissances en lettres classiques (latin, grec et même hébreu). Le chanoine engage alors Abélard comme tuteur de sa nièce pour parfaire son éducation. Elle a 18 ans et lui 40, mais ils tombent vite amoureux l’un de l’autre. L’oncle soupçonneux les surveille. L’amante écrira plus tard « « Sous prétexte d’étudier, nous nous livrions entiers à l’amour …. Notre ardeur connut toutes les phases de l’amour, et tous les raffinements insolites que l’amour imagine, nous en fîmes l’expérience ».
Les malheurs d’un couple devenu mythique :
Héloïse tombe enceinte quelques temps après. Elle se rend en Bretagne chez la sœur d’Abelard pour accoucher secrètement, puis les deux amoureux légitiment leur union par le mariage. De retour à Paris elle se réfugie au couvent d’Argenteuil, brillante elle en devient l’Abbesse. L’oncle jaloux et furieux se venge de cette liaison qu’il n’approuve pas d’une manière criminelle, en envoyant ses amis castrer Abélard. Alors que la jeune femme est chassée du couvent, son mari l’installe au Paraclet. Lui-même trouve pour un temps refuge comme moine dans l’abbaye de Saint-Denis. Ils échangent une correspondance de plus de 113 lettres, célèbres par leur contenu. Ainsi par exemple, de sa retraite l’amante écrit même devenue religieuse « les plaisirs amoureux que nous avons goûtés ensemble ont pour moi tant de douceur, que je ne parviens pas à me les délester… » Même durant ses prières elle ne cesse de penser à lui « Au cours même des solennités de la messe, où la prière devrait être plus pure encore, des images obscènes assaillent ma pauvre âme (…). Loin de gémir des fautes que j’ai commises, je pense en soupirant à celles que je ne peux plus commettre ». Le couvent d’Argenteuil chasse la jeune femme, Abélard lui propose de s’installer au Paraclet
Pendant ce temps Bernard de Clairvaux (moine conservateur et prêcheur de la seconde croisade et non moins son ennemi juré) s’acharne sur lui pour ses convictions religieuses certes, mais plus pour son immense célébrité et ses prouesses dialectiques. Il est condamné au concile de Soissons en 1121, puis à celui de Sens en 1141. La condamnation est même confirmée cette fois par le pape Eugène III, initiateur de la deuxième croisade. Son dernier livre est également condamné.
Unis pour l’éternité
Leur correspondance qu’ils ont entretenue séparés, mélange de passion et de piété ( qui correspond bien à l’amour courtois de l’époque), montre bien que les deux amants ont continué à s’aimer toute leur vie. Héloïse devient abbesse d’un couvent à Provins qu’elle gérera elle-même. Adélard n’est pas loin, il fonde non loin de là à Paraclet son monastère. Se voient-ils tout ce temps secrètement ? Nul ne peut l’affirmer, puisque qu’il n’est pas fait mention dans aucune des lettres. Ils y demeurent jusqu’à leur mort, lui une vingtaine d’années avant elle. Ils resteront unis dans la mort pour l’éternité, puisqu’ils seront mis dans le même cercueil main dans la main. Sur l’initiative de la Mairie de Paris, leurs ossements sont transférés tout comme ceux de Molière, La Fontaine et de pères jésuites en 1817 au lendemain de la Révolution. Ils figurent désormais dans la collection du musée des monuments français, au cimetière Père Lachaise. Ce couple mythique n’a pas laissé indifférent. Jean Jacques Rousseau lui-même s’est inspiré de la vie d’Héloïse en écrivant « Julie ou la Nouvelle Héloïse » en 1761. Plus près de nous en 1991, un jardin de 8000m2 « le square Héloïse et Abélard » dans le 13ème arrondissement leur est dédié. Plus près encore le chanteur américain Frank Black, chante « Héloïse », une chanson inspirée de l’héroïne du Moyen âge.
Œuvres de Pierre Abélard :
De unitate et trinitate divina, sive Theologia Summi Boni (De l’unité et de la trinité divine, ou Théologie du Bien Suprême, 1120) :
Dans cet ouvrage, on découvre le terme théologie que l’auteur est donc le premier à utiliser. Il est écrit que Dieu ou substance divine est trois personnes « le Père », « le Fils », et « le Saint-Esprit », c’est à dire puissance, sagesse et bonté. Pourtant il n’y a qu’un seul Dieu, formé de la réunion de ces trois aussi différents les uns des autres. Pour l’auteur la foi est l’opinion que l’on se fait des réalités cachées, non évidentes. Il est accusé de trithéisme, alors que l’ouvrage est condamné lors du concile de Soissons en 1121 sous la pression de Bernard de Clairvaux, ennemi juré d’Abelard.
Sic et Non (Oui et Non, ou c’est ça ou ce n’est pas ça, 1122):
L’ensemble de l’ouvrage est disposé selon trois catégories. Foi, sacrements et charité sont abordés avec l’esprit d’un maître es arts du langage. L’auteur y relève les contradictions qu’il y a dans les écrits des Pères de l’Eglise. Il pose un certain nombre de questions sur leurs affirmations qui s’opposent souvent, et auxquelles il tente de répondre. Pour lui le respect à l’autorité de ces gens ne doit pas empêcher l’effort de s’interroger et de chercher la vérité. La critique doit être libre car elle permet d’exciter la personne en quête de vérité clé de la connaissance. « En doutant nous venons examiner, et en examinant nous atteignant la vérité » résume bien sa pensée. Abelard semble bel et bien remettre en cause l’autorité établie, ce qui lui vaut une fronde d’Hommes d’Eglise.
Ethica sive Scito te ipsum (Éthique, ou Connais-toi toi-même, 1139 ou 1125) :
L’auteur s’inspire des propos d’Héloïse dans cette œuvre de logique. Ils lui suggèrent que toute théorie morale est fondée avant tout sur l’intention, c’est-à-dire pas ce qui se fait mais plutôt dans quel état d’esprit cela se fait. « La culpabilité n’est pas dans l’acte mais dans la disposition de l’esprit. La justice pèse, non les actes, mais les intentions. Or mes intentions à ton égard, tu es le seul qui peut en juger, puisque tu es le seul à les avoir mises à l’épreuve » dixit Héloïse. C’est ainsi qu’Abelard considère que le péché ce n’est pas tant mal faire (le résultat), mais plutôt l’intention de nuire. Pour lui donc ce n’est pas le résultat de l’action (qu’il considère matérialisme moral) qui doit être jugé mais plutôt l’intention elle-même.
Dialogus inter Philosophum, Christianum et Iudaeum, sive Collationes (« Dialogue entre un philosophe, un chrétien et un juif, ou conférences », 1136-1139 ou 1125-1127) :
L’auteur traite dans cet ouvrage du dialogue interculturel. Il met en scène des personnages imaginaire ou qui lui apparaissent dans un rêve qui s’engage dans un débat sur le bien suprême et le bonheur. Alors que le philosophe dit ne suivre que la raison naturelle, le chrétien défend la chrétienté selon un angle philosophique et le juif suit l’ancienne loi.
Carmen ad Astralabium (Poème à Astrolabe, 1132-1139) :
Poème dans lequel la plus grande partie des vers contient des instructions morales assez générales et traditionnelles. On y trouve de nombreuses références aux saintes Ecritures, et aux œuvres des Pères de l’Eglise. Texte didactique de nature morale dédié à son fils Astrolabe, c’est tout un programme de formation éthique pour un jeune homme de l’époque qui est proposé.
Historia calamitatum (Histoire de mes malheurs, vers 1132) :
Il s’agit d’une longue lettre adressée à un ami inconnu mais dans la peine comme lui (qui n’est peut-être qu’un personnage imaginaire), dans laquelle Abélard expose les épreuves, les persécutions, le martyr dont il a été victime à cause de ses idées et de son amour pour Héloïse. La lettre commence par « Aussi, après vous avoir fait entendre de vive voix quelques consolations, je veux retracer à vos yeux le tableau de mes propres infortunes : j’espère qu’en comparant mes malheurs et les vôtres, vous reconnaîtrez que vos épreuves ne sont rien ou qu’elles sont peu de chose… » Il fait état de sa rencontre avec Héloïse et de leur amour, qui leur a valu bien des malheurs « …nous fûmes d’abord réunis par le même toit, puis par le cœur. Sous prétexte d’étudier, nous étions tout entiers à l’amour… » Il raconte son ascension fulgurante jusqu’à faire des jaloux et des ennemis. A propos de son premier maître Guillaume de Champeaux, il écrit « … je ne tardai pas à lui devenir incommode, parce que je m’attachais à réfuter certaines de ses idées,…les partisans les plus passionnés de ce grand docteur et mes adversaires les plus violents l’abandonnèrent pour accourir à mes leçons… »
Sententiae Parisienses (Sentences de Paris ou Sentences théologiques, après 1138):
Cette œuvre nous renseigne bien sur les idées qu’il se fait de la foi en Dieu et du Christ, tout comme des sacrements et de la morale. Elle consacre son principe selon lequel toute vertu est charité. Sententiae Parisienses sont un véritable enseignement moral.
Confessio fidei ad Heloisam (Profession de foi à Héloïse, 1141)
Abelard répond pour la troisième fois indirectement à Saint Bernard qui l’accuse d’hérésie. Il s’explique et se justifie en ce qui concerne sa position théologique, ses croyances divines. Dans ce qui est considéré comme la dernière lettre de l’amant à sa femme, il le fait d’une manière accessible à tous pour être bien compris.
« Ma soeur Héloïse, toi qui m’étais autrefois si chère dans le siècle et qui m’es aujourd’hui plus chère encore en Jésus-Christ, la logique m’a rendu odieux au monde. Des pervers qui pervertissent tout et dont la sagesse est toute occupée à nuire… Je renonce au titre de philosophe, si je dois être en désaccord avec Saint Paul; je ne veux pas être un philosophe pour être séparé du Christ…. Je crois en Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit, seul et vrai Dieu, qui admet la Trinité dans les personnes sans jamais cesser de conserver l’unité dans la substance… Je reconnais que le Saint Esprit est consubstantiel et égal en toutes choses au Père et au Fils, et je l’ai souvent désigné dans mes écrits sous le nom de bonté suprême… »
Autres œuvres :
Theologia Christiana (Théologie chrétienne, 1124)
Theologia Scholarium (« Théologie scolaire, Introduction à la théologie, 1133-1137)
Commentaria In Epistolam Pauli ad Romanos (Commentaires sur l’épître aux Romains de saint Paul vers 1139).
Apologia contra Bernardum (Apologie contre Bernard de Clairvaux,1139-1140) : Première réponse aux accusations d’hérésie de Bernard Clairvaux (Saint Bernard plus tard).
Confessio fidei Universis (Profession de foi universelle) : Deuxième réponse à Saint Bernard.
Epistolae I-VIII ( Règle pour le Parac