L'Amant pénètre dans le sanctuaire

GUILLAUME de LORRIS (vers 1200- vers 1240) 

Biographie

Poète français du Moyen Âge, on ne sait pas grand-chose de lui à part qu’il est né vers 1200 à Lorris dans le Gâtinais. Il aurait étudié à la Faculté des Arts d’Orléans. Issu de la noblesse, il était le protégé de Guillaume III comte de Poitiers. Il est connu pour « Le roman de la Rose » l’un des tous derniers écrits ayant pour thème l’amour courtois. Mort jeune, il n’a pas eu le temps d’achever cette unique œuvre (environ 4000 vers seulement).

Jean de Meung se chargera quarante ans plus tard (entre 1269 et 1278) d’écrire une suite pour en faire un long roman (22 000 vers). De son vrai nom Jean Clopinel, il est né à Meung-sur-Loire. Il fait des études à l’Université de Paris, où il passe d’ailleurs l’essentiel de sa vie. Il est également connu pour avoir été un défenseur  acharné de Guillaume de Saint-Amour, condamné par le pape Alexandre IV puis expulsé de France par le roi Louis IX pour avoir osé attaquer les ordres mendiants. On le considère de nos jours comme l’un des plus grand érudits de son époque, jusqu’à le comparer à Voltaire.

Oeuvre de Guillaume de Lorris:

Le Roman de la Rose

Le Roman de la Rose est l’un, sinon le plus célèbre et le plus beau, des  romans du moyen âge. Il est certainement le plus représentatif de l’amour courtois, de la philosophie courtoise. Ce qui suppose que l’auteur a bien pris connaissance de « L’Art d’Aimer »  du poète Ovide (l’An 1), et des romans de Christian de Troyes. L’œuvre est née d’une vision imaginaire, allégorique. Le narrateur dans son errance se retrouve dans un jardin secret paradisiaque. Il est captivé par l’une des roses qui s’y trouvent, dont il s’est follement et soudainement épris. Sa seule obsession est dès lors de la cueillir. De Lorris y décrit les désirs et les souffrances de l’Amant, dans une longue quête du cœur d’une jeune fille représentée par cette Rose. Pour y parvenir  il doit faire face à plusieurs épreuves, dans une atmosphère où des forces personnifiées par des allégories se livrent bataille. D’un côté il y a Vénus, Pitié, Largesse et Bel Accueil, de l’autre leur opposées c’est-à-dire Danger, Peur, et surtout Jalousie. Justement la Rose Jalousie va s’en mêler, au moment où le jeune homme embrasse la Rose. Pour protéger la fleur tant convoitée des avances de l’Amoureux, elle l’enferme dans une tour (le Château Jalousie). L’Amant désespéré se retrouve séparé de la Rose, et voit s’éloigner son destin amoureux. Les obstacles de plus en plus difficiles rendent  ses souffrances encore plus atroces. Le Roman de la Rose qui a longtemps gardé sa popularité, est un chef d’œuvre en son genre sur l’Art d’Aimer selon les règles d’une société qui se veut courtoise.

Citations Guillaume de Lorris:

  • Le temps qui ne peut séjourner – Mais va toujours sans retourner – Comme l’eau qui s’écoule toute – Sans que n’en remonte une goutte…
  • Vilenie fait les vilains; – C’est pourquoi il n’est pas juste que je l’aime: – Le vilain est félon, sans pitié, – Sans obligeance et sans amitié.
  • Il est vrai que les épreuves par où doivent passer les amants sont les plus terribles qu’il y ait au monde. Pas plus qu’on ne pourrait épuiser la mer, nul ne saurait énumérer dans un livre les maux de l’amour.
  • Honte, répondit Jalousie, j’ai grand’peur d’être trahie, car Débauche est devenue très puissante. Elle règne partout. Même en abbaye et en cloître, Chasteté n’est plus en sûreté.

JEAN DE MEUNG (1240 -1305 environ)  

Jean de Meung, considéré comme le Voltaire du Moyen Âge, a donné dans sa suite une autre tournure à l’œuvre de Guillaume de Lorris. Au début de cette deuxième partie « Le miroir aux amoureux », l’Amant continue sa quête. Il s’en prend avec acharnement à la  forteresse érigée par Jalousie, et finit par atteindre et cueillir  enfin  la Rose. Mais courtoisie et délicatesse dans le récit il n’y en a plus. L’auteur lui substitue réalisme et la Raison devient plus importante que l’Amour. Le roman devient plus loin une violente satire de la société humaine. Rien n’est épargné : la noblesse, la vie religieuse (ordres monastiques, ordres mendiants et Saint-Siège), la royauté, les institutions établies, les superstitions…  Il fait surtout la part belle aux femmes et leur dangerosité, au mariage, allant jusqu’à exposer les moyens de déjouer leurs pièges selon son « art d’amour » à lui. Ce qui vaut à l’œuvre d’être attaqué un siècle plus tard par Guillaume de Digulleville (Pèlerinage de la vie humaine) et surtout Christine de Pison (Epitre au Dieu d’Amour) à la fin XIV siècle. Celle-ci est à l’origine de la Querelle des Dames, elle a osé défendre la femme qui jouit d’une opinion négative dans une société dominée par les hommes. Jean de Meung est à ce titre le premier à déclencher la toute première querelle féministe de l’histoire.

Autres œuvres de Jean de Meung :

Le livre de Végèce de l’art de chevalerie (1284) : traduction en français de  De Re Militari de Végèce (écrivain romain fin du IV – début du V siècle.

Traduction du latin de  De consolatione philosophiae de Séverin Boèce (philosophe et homme politique romain 470-530).

Testament (entre 1291 et 1296) : contient une satire contre tous les ordres du royaume.

Codicille : il est question des  mystères de la religion. L’ouvrage contient sept articles de foi.

Dodechedron de fortune : L’auteur enseigne à découvrir l’avenir en manipulant un curieux dé (Dodechedron) à 12 faces et 20 angles, une parfaite figure de géométrie.  

Les remontrances de Nature à l’alchimiste errant… : c’est une cantilène de Dame Nature, qui se plaint et dit sa douleur à un alchimiste.

Il est également l’auteur de la première version en français des Épîtres (lettres) d’Abelard et Héloïse. Il a encore traduit Le Livre des merveilles d’Hirlande de Gerald de Barri (ecclésiastique gallois).

Citations de Jean de Meung :

  • Jadis il en allait autrement; maintenant tout va en empirant.
  • Car il n’est femme, si honnête soit-elle, – Vieille ou jeune, mondaine ou nonne, – Il n’est dame si pieuse soit-elle, – Si chaste soit-elle de corps et d’âme, – Si l’on va louant sa beauté, – Qui ne se délecte en écoutant.
  • Toutes, vous autres femmes – … – Vous êtes, vous serez, vous fûtes – De fait, ou de volonté, putes.
  • Les princes ne méritent pas – Qu’un autre annonce leur trépas – Plutôt que la mort d’un autre homme – Leur corps ne vaut pas une pomme.
  • Le mariage est un lien détestable… Nature nous a faits… toutes pour tous et tous pour toutes.
Le Roman de la Rose, chef-d'oeuvre médiéval

Considéré comme l’héritier de Chrétien de Troyes, on connaît peu de chose de cet écrivain français dont la vie se situe en pleine période des romans de la table ronde. Sur le plan littéraire, l’existence de Jean Renart qui se situe entre 1170-80 et 1250 passe presque inaperçue. Ses œuvres nous apportent par déduction quelques brides d’informations, notamment sur les dates d’écriture de ses œuvres et ceux à qui elles sont dédiées. Originaire de l’Oise et d’une famille aristocratique, il reçoit un enseignement clérical. Selon Rita Lejeune, Jean Renart serait son nom de plume. Pour elle il est Hugues de Pierrepont prince-évêque de Liège de 1200 à 1229 et réputé grand chevalier. Ses écrits ne commencent à susciter intérêt qu’à la fin du siècle dernier, pour faire l’objet d’études.

Jean Renart brosse essentiellement un tableau de la société de son temps : ses pontes, ses occupations, ses protagonistes, ses désirs et ses règles. Son réalisme le distingue de ses prédécesseurs et contemporains. Partant d’un conte, il emprunte des fait à la réalité pour donner de la vraisemblance au récit, qu’il amplifie et enrichie pour construire son œuvre. Il introduit des noms de tous les jours, alors qu’avant lui les auteurs attribuaient à leur personnage des noms antiques (romans antiques) ou bretons (romans de la table ronde). Son originalité apparaît également dans la description qu’il fait des villes françaises qu’il lui arrive d’évoquer. Il en fait des lieux animés, attirants et même pittoresques. Il apporte également une nouveauté, en insérant dans ses textes des chansons que dames et chevaliers se font un plaisir de chanter.

Œuvres de Jean Renart :

L’Escoufle (1200-1202):

Ecrite dans le genre fabliaux et roman d’aventure, cette œuvre est dédié à un comte de Hainaut, qui pourrait bien être Baudouin VI comte de Hainaut devenu empereur de Constantinople en 1204 lors de la 4eme croisade. L’auteur nous conte les aventures de Guillaume, fils de Richard un comte imaginaire, et Aleïs fille de l’empereur de Rome et née le même jouir que lui. C’est l’histoire d’un amour contrarié, comme c’était souvent le cas en ce temps, par le père de la fille. Les deux amants pensent s’enfuir pour vivre leur amour, mais entre-temps le garçon perd l’anneau que lui avait offert la fille en gage de son amour. Il a été emporté par un oiseau du nom d’escoufle (milan de nos jours), un rapace à l’époque méprisé et considéré comme porte malheur.Comme s’il voulait mettre l’un et l’autre à l’épreuve, et explorer la profondeur de leurs sentiments. Symbole de leur attachement l’un à l’autre, l’amant doit absolument le retrouver. Commence alors pour lui une quête semée d’embûches de cet anneau, une quête qui les laissent longtemps séparés. L’amour finit par triompher de tous les obstacles, puisque les deux amants se retrouvent et se marient.

Le Lai de l’ombre (1221-1222):

Dédicacé à Milon de Nanteuil évêque élu de Nanteuil, le Lai de l’ombre traite aussi de l’amour courtois. Un élégant chevalier amoureux d’une dame qu’il n’a jamais vu, parie pourtant qu’il allait se faire aimer d’elle. Il la rencontre enfin mais elle repousse ses avances, en refusant l’anneau qu’il lui présente. Devant la résistance de la femme, en galant homme il va trouver un moyen de la convaincre. Il déclare en la regardant tendrement qu’il va alors offrir cet anneau à « celle qu’il aime le plus après la dame », c’est à dire l’image reflétée par l’eau d’un puits. Un geste courtois et subtil qui ne la laisse pas insensible, puisqu’il n’en faut pas plus pour la séduire et la convaincre. Elle accepte l’anneau et accorde son amour au jeune homme.

Le Roman de la Rose ou De Guillaume de Dole (1212-1213)

Selon Rita Lejeune cette grande œuvre serait dédiée à Othon comte de Poitiers, qui deviendra Othon IV empereur du Saint-Empire romain germanique. Il est question aussi de Milon de Nanteuil puisque l’auteur veut en écrivant ce conte que « sa réputation et sa gloire atteignent le pays de Reims en champagne et parviennent jusqu’au beau Milon de Nanteuil, l’un des hommes valeureux de ce siècle ». Le Roman de la Rose a pris le titre de Guillaume de Dole  postérieurement, pour ne pas confondre avec le roman de Guillaume de Loris et Jean de Meun.

Cette œuvre dans laquelle la poésie lyrique est fortement présente, est considérée comme l’une des plus remarquables de l’époque médiévale. L’auteur y a inséré plus de 40 chansons que des trouvères et troubadours ont écrites. Il nous plonge dans le monde de la jalousie et de la chasteté. L’empereur d’Allemagne Conrad est amoureux de Liénor la sœur de Guillaume de Dole, qu’il n’a pourtant connu qu’à travers la chanson d’un trouvère. Il saisit l’opportunité d’un tournoi organisée dans son château, pour inviter le frère à y participer. Jaloux de l’intrus, l’officier de  justice de  la cour (sénéchal) entreprend de torpiller ce rapprochement. Il obtient malicieusement de  la mère de  la fille un détail intime, et va annoncer à l’empereur qu’il ne peut l’épouser car elle s’est donné à lui. La preuve qu’il avance est cette tache de naissance en forme de rose (d’où le titre) sur la cuisse de Liénor, information qu’il a eu de la maman. La malicieuse héroïne va trouver la riposte nécessaire. Usant d’un stratagème, elle va piéger le sénéchal et le désavouer. Elle obtient pour cela la complicité d’une jeune  femme, qu’il n’a en vain cesse de courtiser, pour le faire accuser de viol. La vérité éclate et Conrad épouse la dame, alors que l’officier est puni en l’obligeant à se croiser.

Le Roman de Galerian (1126-1220) :

Inspiré certainement du « Lai de Frêne » un conte de Marie de France, on attribue à Jean Renart également ce merveilleux roman idyllique.

Galeran est le fils du comte de Bretagne. Frêne est une fille abandonnée et séparée de sa sœur jumelle Fleurie par sa mère, et retrouvée sous un arbre d’où son nom. Elle est recueillie pour être élevé avec Galeran dans une Abbaye de Beauséjour par la tante du jeune homme. Ils reçoivent une parfaite éducation, et sont deux modèles d’éducation. Galeran devient dresseur de bête pour la chasse, un excellent cavalier et tireur à l’arc. Elle joue merveilleusement à la harpe et manie bien l’aiguille. Courtois et sages, ils sont en plus tous les d’une rare beauté. Ils sont faits l’un pour l’autre, mais leur amour sans certitude du lendemain va connaître quelques contrariétés.

Galeran apprend que ses parents sont morts, il se rend en Angleterre pour recevoir du roi (son souverain) ses fiefs et succède à son père comme comte de Bretagne. Une séparation qu’ils ont du mal à supporter. De retour l’appel des armes les sépare de nouveau. Lasse des persécutions, des insultes et des  moqueries de son entourage lui suggérant même de se faire nonne, comme si elle était une femme délaissé par le comte de Bretagne, Frênes monte sur une mule et s’en va par les chemins vers l’inconnu. De retour à la maison Galeran apprend la mauvaise nouvelle. Une année durant il envoie des messagers à sa recherche en vain. La croyant disparue à jamais, il se résigne à épouser Fleurie la sœur jumelle de son amie d’enfance. La date des noces est fixée, et la nouvelle parvient jusqu’à Frêne qui ne peut se faire à l’idée que son amoureux prenne une autre femme. Elle se déguise et se rend au château du comte où le mariage est célébré. Elle est reconnue par ses proches, et Galeron déclare que c’est elle qu’il aime devant tous les invités. Les retrouvailles sont forts émouvantes, Frêne triomphe alors que sa sœur Fleurie rentre au couvent.

Quelques écrits sur Jean Renart :

Rita Lejeune, « l’œuvre de Jean Renart » 1935

Rita Lejeune, « Jean Renart, pseudonyme littéraire de l’évêque de Liège, Hugues de Pierrepont »

Nancy Vine Durling, « Jean Renart and the Art of Romance : essays on Guillaume de Dole » 1997.

 

Prise de Constantinople vue par Villehardoin

Biographie :

Chroniqueur et non moins chevalier français, Geoffroi de Villehardoin est né entre 1150- 1154 et 1212-1218 d’une famille noble près de Troyes dans le château de Villehardoin. Il est nommé sénéchal de Champagne à compter de 1185, un peu grâce à ses qualités personnelles. Bon diplomate, orateur et négociateur il est sollicité dans plusieurs affaires administratives et politiques en tant que médiateur et arbitre. Lorsque la quatrième croisade est décidée à l’appel de Foulques de Neuilly, c’est lui qui est envoyé en compagnie de Conon de Béthune  (militant et trouvère) négocier avec le doge de Venise Enrico Dandalo le transport par mer des croisés. Il est placé chef de file de cette croisade, à la faveur de son titre de maréchal de Champagne et y jouera un rôle très important.

Œuvre de Villehardoin :

Histoire de la conquête de Constantinople(1207 – 1212)

Les motivations de l’auteur

C’est en tant que témoin, observateur avisé et participant à la quatrième croisade qu’il est amené à écrire sur cette expérience: Histoire de la conquête de Constantinople (ou encore Chronique des empereurs Baudoin et Henri de Constantinople). Cet ouvrage, le seul qu’on connaisse de lui et qui fait de lui un historien, serait écrit entre 1207 et 1212. Un ouvrage qui restera longtemps sujet à controverse, car directement impliqué son impartialité est remise en cause par certains. On pense notamment à la version qu’il donne du détournement de la croisade de l’Egypte et Jérusalem à Constantinople. Sa partialité ne concerne pas les faits, qu’on considère rapporté le plus rigoureusement possible, mais les responsabilités. Soucieux de faire l’apologie des chefs croisés et de ne pas les froisser, sans mentir il justifie le détournement de cette croisade de ses buts premiers. RB Shaw, Frank Marzials et Colin Morris considèrent quant à eux que globalement, la chronique de Villehardouin peut être considérée comme honnête juste et précise. On pourrait aussi penser que l’auteur a voulu répondre aux nombreuses critiques, dont celle du pape, sur le déroulement de la croisade à laquelle il a pris part activement. En effet il n’omet pas d’écrire que la cohésion de la croisade a été maintenue, grâce aux énormes efforts qu’il a du consentir. Il accuse les barons qui étaient opposés à la tournure qu’ont pris les choses, de vouloir disperser l’armée. La chronique reste malgré tout une production remarquable, qui a en plus le mérite d’être le premier écrit à caractère historiographique. Usant de clarté, de sobriété, de fermeté et d’un style austère, il nous transmet un récit qui est aussi celui d’un grand stratège déplorant les erreurs commises sur le plan miliaire.

La 4e croisade vue par l’auteur

L’œuvre se compose de neuf parties ou livres, dans lesquels l’auteur tente de donner un sens à une croisade qui a failli à sa mission. Dans le premier il nous invite à découvrir les prémices de cette quatrième croisade. Le second se rapporte aux négociations qu’il a lui-même menées auprès de la République de Venise. « Seigneurs, les barons de France les plus hauts et les plus puissants nous ont envoyé à vous. Ils vous supplient de prendre pitié de Jérusalem, qui est en l’esclavage des Turcs, et au nom de Dieu de bien vouloir de leur société pour venger la honte de Jesus Christ. Ils vous ont ici choisis pour cette raison qu’ils savent que nulles gens qui soient sur mer n’ont aussi grand pouvoir que vous et votre nation. Ils nous ont commandé de tomber à vos pieds et de ne pas nous en relever avant que vous vous ayez accordé d’avoir pitié de la Terre Sainte d’outre-mer.

Dans la troisième il révèle l’insuffisance des fonds pour faire face aux obligations contenues dans l’accord conclu. De  nouvelles négociations ont été entamées avec le doge de Venise, pour permettre malgré tout à la croisade de continuer. Il termine en relatant l’embarquement des croisés en août 1202. Dans le suivant il nous rapporte la prise de Zara, qui n’était pas initialement prévu au programme mais exigé par Enrico Dandalo suite à l’insuffisance des fonds récoltés par les croisés pour le payement de la flotte. Il n’omet pas de faire mention de  la colère du pape Innocent III et de nombreux barons, qui n’ont pas apprécié que la croisade soit utilisée pour attaquer des Chrétiens. Dans la cinquième partie on découvre la mission qu’il a accomplie en Grèce. L’arrivée des croisés devant Constantinople est écrite dans le sixième livre, avec son siège qui a duré une semaine avant la capitulation le 18 juillet 1203. Alexis IV obtient alors son couronnement à la tête du premier Empire latin de Constantinople, pour lequel la croisade avait dévié. Certaines pages de cette sixième partie sont considérées comme les plus belles et plus passionnantes de toutes.

Dans les trois derniers livres il fait le récit parfois passionnant, parfois répugnant, de la reconquête de Constantinople et des territoires environnant le 12 avril 1204 suite à l’assassinat d’Alexis IV.  Baudouin de Flandre est couronné à la tête de l’Empire Il nous fait part aussi de la cupidité qui s’est emparé des croisés à ce moment là, avec le pillage de la ville. Nobles et personnes de haut rang français et vénitiens se partagent le meilleur des richesses amassées. Pour lui cette avidité matérielle priva les croisés de l’aide de Dieu.

Quelques écrits sur Villehardoin :

  • « Les écrivains de la Quatrième croisade : Villehardouin et Clari » Dufournet,1073.
  • « Les sires de Villehardouin » Petit,  1913.
  • « Recherches sur la vie de Geoffroy de Villehardouin» et « Catalogue des Actes de Villehardoine ». Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes, 1939.
  • « La quête et la croisade. Villehardouin, Clari et le Lancelot en prose ».Hartman, 1977.
  • « Geoffroy de Villehardouin. La question de sa sincérité ». Faral dans Revue historique, 1936
Arthur tirant Excalibur de la roche

Biographie de l’auteur:

Originaire de Troyes sans doute, il a vécu entre 1135 et 1190 environ. Il est   considéré comme le premier et le plus grand romancier de la littérature française de l’époque médiévale. Le peu qu’on connait de lui vient de ses prologues. Dans celui d’ »Erec et Enide » il se présente au lecteur comme étant   » Crestiens de Troies », avant de préciser dans celui du  » Chevalier de la charrette » qu’il a écrit sur le « comandemant de ma dame de Champagne ». Il s’agit en fait de Marie de Champagne, fille d’Alienor d’Aquitaine et Louis VII reine et roi de France. Ce qui laisse à penser qu’il est poète à la cour de Champagne, où il tient également la fonction d’officier public (héraut d’armes) ou clerc. Il reste néanmoins le protégé de Marie, qui lui dicte presque ce qu’il doit écrire.

Fondateur de la littérature arthurienne (en français), il est celui qui nous restitue le mieux la légende du Roi Arthur et ses héros du cycle de la table ronde issue de la mythologie celtique. Même si avant lui des conteurs et des musiciens colportaient ça et là des légendes celtiques, où les héros souffraient de devoir choisir entre leur devoir moral de chevalier et l’amour. La cour du roi Arthur est le point de départ des aventures des chevaliers, où se mêlent le merveilleux et l’amour, racontées par Troyes. Si dans la chanson de geste, dont la Chanson de Roland (1080) qui rapportent les conquêtes de Charlemagne reste la plus célèbre, le patriotisme est mis en avant au travers des exploits guerriers donc collectifs, chez Troyes les personnages que sont essentiellement les chevaliers sont en quête de reconnaissance personnelle et de découverte des autres. En ce sens il est considéré comme l’un des premiers auteurs de romans de chevalerie, inventeur du roman d’amour où les personnages sont souvent devant le dilemme loyauté chevaleresque – amour qui ne vont pas forcément ensemble.

Œuvres :

Elle tourne donc autour de la légende d’Arthur posé et juste, et qui devient Roi après avoir été le seul à pouvoir arracher l’Excalibur (une épée magique que seul le roi de Bretagne est digne de brandir) planté dans le roc par Merlin. L’Excalibur permet alors au Roi de réaliser des centaines d’exploits, au profit de la Bretagne. Sur conseil de Merlin toujours, il crée une assemblée de chevaliers appelée « Les Chevaliers de la Table Ronde ». La mission de cet ordre est d’accomplir la quête du Graal, le calice dans lequel aurait bu le Christ lors de son dernier repas. Une fois retrouvé, le Graal est sensé assurer la paix et l’harmonie entre les hommes du Royaume. La quête du Saint Graal occupe l’essentiel de la trame, car elle est la plus difficile et la plus grande de l’époque du Roi Arthur.

Erec et Enide (1170) :

Premier ouvrage de l’auteur, il est question de la délicate conciliation entre l’amour et la chevalerie. Erec est considéré comme l’un des plus brillants chevaliers de la table ronde. Une seule rencontre lui suffit pour s’éprendre de la belle Enide. Les deux jeunes personnes se marient sans tarder, et l’époux doit accorder ses devoirs avec sa passion. Ce qu’il réussit à faire temporairement, avant de commencer à négliger armes et chevalerie. Et ce n’est pas sans conséquences, et la crise s’installe. A chaque fois que cela repart sur la bonne voie, cela s’avère éphémère, et la gravité du problème s’accentue. Et Erec repart encore plus déterminé, en quête de ce difficile équilibre entre chevalier aimant et chevalier guerrier…

Cligès (1176):

Originaire de la Grèce, Cligès est fait chevalier par le roi Arthur mais ne peut rester, car la vengeance l’appel dans son pays. Fénice qu’il aime et qui lui était destinée a été marié à l’empereur (oncle de Cligès), qui a ainsi trahi le serment fait à son frère Alexandre (père de Cligès) de ne pas la prendre comme épouse. Bien qu’elle aime Cligès, Fénice refuse de se laisser entrainer dans une relation adultère. Mais le chevalier arrive à trouver réponse à la trahison de son oncle…par une autre trahison…

Lancelot ou le Chevalier de la charrette (1176 à 1181):

Commandé et dédié à Marie de Champagne, fille d’Aliénor et du roi Louis VII, l’œuvre donne une place prépondérante à l’amour courtois. Un chevalier jusque là inconnu veut séduire la reine Guenièvre, la femme même d’Arthur. Pour cela il donne une image de l’amant le plus courtois, et va jusqu’à lui être soumis. Ce qui ne plaît bien à la suzeraine. Alors que celle ci est enlevée par le roi de Gorre, il entreprend un voyage dans un royaume d’où l’on ne revient jamais, pour la délivrer. Pendant qu’il poursuit le ravisseur il perd son cheval. Quitte à perdre son honneur et pour Guenièvre qu’il aime, il n’hésite pas à continuer son périple en charrette (d’où le nom de chevalier de la charrette)…A son retour il devient Lancelot, son courage et sa fidélité lui valent d’intégrer le groupe des Chevaliers de la Table Ronde…La trame de fond tourne autour de l’adultère.

Yvain ou le Chevalier au lion (1178 à 81):

Le sénéchal Keu lance un défi à Yvain, Chevalier de la Table Ronde, de se battre contre le seigneur de la fontaine d’une forêt. Victorieux il assiste aux funérailles et découvre la veuve Laudine, la plus belle femme sans doute du royaume. Lunette la servante use de malice pour persuader la dame d’épouser Yvain, le seul capable de protéger son domaine. Elle accepte et lui offre son cœur et sa main. Mais Yvain a du mal à vivre sans aventures, n’est ce pas le propre de tout chevalier de sacrifier l’amour pour l’aventure? Laudine l’autorise à partir à condition qu’il soit de retour dans une année au plus. Il part avec Gauvain, un autre Chevalier  de la Table Ronde. D’aventure en aventure l’époux oublie sa promesse. Quand il s’’en rappelle une année était déjà passée. Il est alors furieux contre lui-même, quand il apprend que sa femme ne veut plus de lui. Livré à lui-même et en proie à la folie, il traverse plusieurs épreuves, dont celle de tuer un serpent pour sauver lion. Devenus inséparables, Yvain fait preuve héroïsme dans ses combats. Il devient le Chevalier au lion. Lunette va encore user de ruse pour le réconcilier avec Laudine. L’apparition d’un chevalier qui trouble la fontaine, est à l’origine de déchainement de tempêtes incessantes, que seul le Chevalier au lion peut faire cesser. La servante le présente à sa maîtresse, qui découvre que c’est Yvain son mari. L’époux ne jure plus que par l’amour, et renonce à son rôle de chevalier…

Perceval ou le conte du Graal (1181 inachevé) :

C’est la dernière œuvre de l’auteur qui restera inachevée, et dont plusieurs auteurs tenteront une suite. Tout en indiquant qu’elle est commandée par Philippe, comte de Flandre et courtisant de Marie de Champagne, il en fait l’éloge en le qualifiant de « le plus valeureux des hommes qui soit en l’empire de Rome ». Troyes conte les aventures du chevalier Perceval. D’origine noble celui-ci vit avec sa maman en Pays de Galle, dans un refuge en forêt depuis qu’elle a perdu son mari et deux autres enfants. Pour le protéger elle le maintien dans l’ignorance, et loin de la violence du monde extérieur. Jusqu’au jour où il croise des chevaliers, qui passaient par là. Il est tellement ébloui par leurs armes et leurs armures, qu’il décide de se rendre dans la cour du roi Arthur. Désormais il ne vit que pour se faire chevalier par ce souverain. Ses atouts sont le courage (il mène son premier combat et sort vainqueur) et sa beauté (il séduit Blanchefleur qui va l’aider). Un vieux chevalier entreprend de lui apprendre les bonnes manières, les vertus  chevaleresques. Devenu chevalier, il aperçoit le Graal lors de son  passage dans un château mystérieux. Mais il ne réagit pas. Le lendemain il est pris à parti pour n’avoir rien fait, alors que la quête du Graal est la mission principale des chevaliers. Depuis il ne jure que par le Graal. Il  part à sa recherche, mais d’abord il doit retrouver le mystérieux château…

Autres œuvres:

Chrétien de Troyes serait aussi, comme il l’indique dans le prologue de Cligès, l’auteur de cinq traductions-adaptations. Une version de Tristan et Iseult dont on a retrouvé aucune trace, tout comme quatre des cinq versions de l’Ovide.

Quelques citations de Troyes :

  • A femme qui accorde sa bouche accorde sans peine le surplus.
  • Mauvais est l’homme qui oublie honte et vilenie qu’on lui fit.
  • Trop de paroles, péché certain.
  • Chose que l’on dédaigne vaut bien mieux que l’on croit.
  • Le cœur a des pensées que ne dit pas la bouche
  • M’est avis qu’un homme courtois mort vaut mieux que vilain vivant
  • Qui aux dames ne porte honneur c’est qu’il n’a point d’honneur au cœur
  • Ce n’est pas un vain propos, mais une vérité établie :celui qui accepte conseil n’est pas un sot

Écrits  sur l’auteur :

  • Chrétien de Troyes : l’homme et l’œuvre, Jean Frappier (1957)
  • Chrétien de Troyes, Philippe Walter (1997)
  • La littérature Arthurienne, Thierry Delcourt (2000)
  • Chrétien de Troyes, Estelle Doudet (2009)
Le Cheval rentrant dans Troie

Un chroniqueur pour les ducs de Normandie

On sait peu de choses de ce trouvère et chroniqueur anglo-normand du XIIe siècle. Il est originaire sans doute des environs de Tours, où il est clerc. Son œuvre se limite à deux grands ouvrages, qui seraient commandés par Henri II Plantagenêt (duc de Normandie puis roi d’Angleterre) et Aliénor d’Aquitaine (la Reine). On lui connaît un penchant pour les récits de bataille (ce qui fait de lui un chroniqueur), où les exploits guerriers des héros se mêlent  au romanesque et à l’amour courtois.

« Le roman de Troie » : écrit entre 1160 et 1170 ce roman est la principale œuvre qui traite de la guerre de Troie au Moyen Âge. Il fait partie des trois plus grands classiques des romans antiques avec le «Roman de Thèbes»(1150) et « Roman d’Énéas » (1160). Benoist  met en roman les courts récits latins rapportés par Darès de Phrygie et Dictys de Crète, considérés comme témoins oculaires de cette guerre.

Priam roi de Troie, enlève Hèlène l’épouse de Melenas roi de Sparte, qu’il considère comme lui revenant de droit car promise par Aphrodite. Telle est l’origine principale de cette guerre. Le chroniqueur nous plonge dans l’antiquité latine, et le destin d’une splendide cité grecque Troie. Le mérite de Benoist, est de s’être inspiré des écrits latins de deux témoins oculaires du siège de Troie et de la bataille. Il s’agit de Darès un Phrygien et Dictis un Crétois. Dans cette trame de l’histoire et de légendes, exploits guerriers de héros qu’ils soient Grecs ou Troyens, aventures galantes et amours impossibles s’entremêlent pour nous conter la guerre de Troie. L’amour de Pâris et d’Hélène, de Jason et Médée, celui d’Achille et Polixène …étaient inéluctablement condamnés. Son récit intègre d’autres événements, puisqu’il commence avec la naissance même de la Cité. On y  retrouve l’expédition des Argonautes à l’origine de la première destrtuction de Troie, puis l’auteur nous mène de la conquête de la Toison d’or à la mort d’Ulysse. Benoist nous renvoie bien, l’image d’une cité et d’une civilisation enchanteresses.

« Chronique des Ducs de Normandie » (1180) : écrit également à la demande d’Henri II Plantagenêt (Duc de Normandie puis roi d’Angleterre) et d’Aliénor d’Aquitaine (La reine), avec notamment « La Vie de Guillaume le Conquérant » et « Les Vikings en Normandie ».

Il puise ses sources de chroniqueurs, et fouille dans le passé normand soucieux des origines et de l’hérédité. En réalité la demande des Plantagenets n’est pas innocente, elle est même guidée. Elle a pour but d’établir une lignée illustre de la famille pour justifier sa domination sur le royaume d’Angleterre et du duché de Normandie. Les ancêtres maternels Henri II sont exagérément glorifiés et rattachés à la Normandie, pour légitimer leur occupation du trône d’Angleterre. Dans les « Vikings en Normandie », il veut convaincre les Scandinaves de Neustrie qu’ils sont bien Normands, pour encourager leur assimilation. Benoît fait des ducs de Normandie des héros exemplaires de la société courtoise du XIIe siècle. Il va plus loin. Pour glorifier encore plus la famille régnante et ses sujets, il leur trouve même une origine troyenne, considérée comme prestigieuse et honorable (légende de l’origine troyenne des Normands). Ce qui permet en plus, éventuellement, d’avoir des prétentions dans l’Europe latine.

« Quand Ilion fut détruite, Antênor fut exilé,

Emportant maints grands trésors avec tous les gens qu’il avait ;

Il vogua sur les mers, tant qu’il put ; Souvent il fut assailli,

Subit des revers et fut défait jusqu’à ce qu’il arrive en ce pays,

Dont vous m’entendez parler.

Alors avec ses gens il s’y établit ; jamais ensuite défection ni abandon

Personne ne lui fit ; Et de lui sont issus les Danois » 

La vie de Guillaume le Conquérant : (1035-1087) l’auteur retrace le parcours extraordinaire d’un homme hors du commun, le plus célèbre sans doute des ducs de Normandie.

Né à Falaise en 1027-1028, huit ans après il devient le 7e duc de Normandie (Guillaume II de Normandie) suite au décès de son père. Né hors mariage, ce qui lui vaut le surnom de « Guillaume le Bâtard », les barons de Normandie conteste son autorité dès sa majorité, alors qu’il est Vassal du roi de France Henri 1er. Après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinat, il se réfugie à Falaise. Le roi lui apporte son soutien, et l’aide à reconquérir son Duché. Pour assoir et élargir son pouvoir, il s’appuie sur des alliances et épouse  même le fille du comte de Flandre, nièce du roi. Ce qui lui confère une certaine autorité sur tout le nord de la France. Ce qui va inquiéter Henri 1er , qui voit en lui une menace pour son propre trône. Il envoie des troupes pour le combattre mais il résiste. Alors que le trône d’Angleterre est occupé par un Normand du nom Édouard le Confesseur, Guillaume se considère comme son successeur, en l’absence d’héritiers. Il y a en effet un lien de parenté entre lui, et la mère du roi d’Angleterre. A la mort de celui-ci, un aristocrate anglo-saxon du nom d’Harold Godwinson s’empare du trône. Guillaume le Conquérant refuse le fait accompli, il envahit l’Angleterre sur laquelle il va régner 20 ans durant, soit jusqu’à sa mort suite à une blessure accidentelle.

Son corps repose toujours au sein de l’église  Saint-Étienne de Caen. A Bayeux où se trouve un cimetière anglais, on peut lire l’inscription « Nous vaincus par Guillaume, avons libéré la patrie du vainqueur »

 

Marie de France, fabuliste médiévale

MARIE DE FRANCE (1154-1189) 

Poétesse et fabuliste contemporaine de Chrétien de Troyes (conteur arthurien), on ne connaît pas grand-chose. On pense qu’elle serait issue d’une grande famille parisienne proche de la cour d’Henri II Plantagenêt (roi d’Angleterre) et Aliénor d’Aquitaine (la reine et petite fille de Guillaume d’Aquitaine), et donc qu’elle a vécu surtout en Angleterre. On sait aussi que première écrivaine en langue française, elle était polyglotte: latin, anglais, et français. Ce n’est qu’au début du XVI siècle que le nom de Marie de France lui est attribué. Dans l’épilogue de ses « Fables » elle se présente en effet : « Marie ai num, si sui de France » (Marie est mon nom, je suis de l’Île de France).

Elle commence par traduire du latin des thèmes de l’antiquité, avant de se tourner vers l’écriture soucieuse de préserver les contes qu’elle a entendus. Son inspiration elle la tire de l’antiquité et des traditions et légendes bretonnes et celtes en général. Elle se met à écrire des fables en vers qu’elle appelle lais. Ce qui fait d’elle la première fabuliste française. En celte lai qualifie le chant du merle, puis plus tard un poème accompagné à la harpe. Ces lais ne dépassent jamais six cents vers, donc courts et s’intéressent essentiellement aux personnages et pas au milieu. C’est l’amour courtois et aussi l’adultère qui revient le plus souvent dans ses écrits, avec ces vaillants chevaliers à qui arrivent de galantes aventures. Certains par contre son dédié au roi et à la reine Aliénor, bien connue pour être une patronne des troubadours et autres artistes, et qui l’aurait encouragée à écrire. Elle loue l’amour courtois et pour autrui dans plusieurs adaptations de légendes. Le réalisme et le féerique s’y mêlent étroitement. Preuve de sa célébrité, ses lais sont traduits en Scandinavie.

On lui connaît 14 lais : si certains traitent de l’amour courtois, d’autres sont une invitation à tirer des leçons, notamment concernant l’amour égoïste. Voici quelque uns des plus célèbres :

Lais:

Le lai des deus Amanz (Le lai des deux amants) : un roi en Normandie veuf de son état, n’a plus que sa fille comme consolation. Son entourage lui reproche de repousser tous les prétendants, bien que riches et de bonne famille. Pour ne plus avoir l’air de ne pas vouloir accorder la main de sa fille, il imagine un défi à relever pour tout soupirant. Il annonce « Qui ma fille voudra avoir, devra la porter sans jamais la poser jusqu’au sommet du mont » Tous ceux qui tentent leur chance échouent au grand bonheur du roi. Mais un jour elle et le fils d’un comte s’éprennent l’un de l’autre. Sachant qu’il ne peut relever le défi, le beau jeune homme lui propose de l’emmener loin. Mais la belle ne veut pas attrister son père. Elle lui préconise d’aller chez une parente, spécialiste en herbes magiques. Dans la lettre la jeune fille explique à sa tante que son amoureux a besoin d’un breuvage, pour avoir la force de la porter jusqu’au mont. De retour le jeune homme demande au roi la main de sa fille. Lors de l’ascension du mont, il s’abstient de prendre la potion magique, malgré l’insistance de la fille quand elle le sent sur le point de fléchir « Belle je sens mon cœur tout fort… ». Arrivé au but, il tombe raide mort. Elle s’allonge près de lui, l’étreint très fort et meurt de chagrin. On les enterre sur ce mont, qui devient celui « des deux amants »

Le lai de Lanval : un lai arthurien qui a trait aux chevaliers de la table ronde, qui illustre bien l’amour courtois. Deux ravissantes jeunes filles présentent au chevalier Lanval leur maîtresse, une créature, une fée dotée d’une beauté exceptionnelle. Il est émerveillé, hypnotisé, son cœur est vite ravi. Elle lui offre ce qu’elle a de mieux et surtout son cœur, en échange de quoi il s’engage à ne jamais faire allusion à son existence, sous peine de ne plus le revoir. Dans la cour du roi Arthur qui la néglige, la reine Geneviève lui fait la cour mais il rejette ses avances. Furieuse elle fait circuler la rumeur selon laquelle Laval préfère les hommes. Devant cette accusation gravissime, il n’a plus le choix que d’avouer sa secrète liaison avec la plus belle fille du monde. Blessée par cet aveu, la reine manipule Arthur qui oblige le chevalier à apporter des preuves. L’amante apparaît pour sauver Lanval malgré sa trahison, et l’emmène dans son monde magique…

Le lai de Chevrefoil (chèvrefeuille): il a trait aux amours de Tristan et Iseult de la légende galloise. Tristan orphelin, est pris par son oncle le roi Marc de Cornouailles sous sa protection. Dans la cour il est remarqué pour son courage. Le roi veut épouser Iseut la blonde. Il charge son neveu d’aller la ramener d’Irlande. Au retour les deux jeunes personnes boivent par erreur, le filtre d’amour que la maman de la jeune fille avait préparé pour les nouveaux mariés. Ils s’éprennent éperdument l’un de l’autre. La nuit de noces, craignant que Marc ne découvre qu’elle n’est plus chaste, Iseult se fait remplacer par Brangien sa fidèle. Tristan et Iseult continuent de s’aimer secrètement. « Ni vous sans moi, ni moi sans vous » lui écrit-il sur le tronc de l’arbre où ils se retrouvent ou lui laisse des messages. Découverts ils sont condamnés au bûcher, mais par miracle ils arrivent à fuir, pour vivre dans la misère dans la forêt. Un jour le roi en personne les découvre dans une cabane endormis. L’épée de Tristan plantée entre eux, lui fait croire qu’il ne s’est rien passé. Il les épargne. Le jeune homme s’exile en Bretagne où il épouse Iseult- aux-Blanches-Mains. Mais l’amour est trop fort. Il revient en prenant divers déguisements, pour rencontrer sa bien-aimée. De retour en Bretagne il est blessé à mort lors d’un combat. Il réclame Iseult la Blonde qui seule peut le sauver de la mort. « Que Dieu nous sauve, Yseult et moi !» Elle accourt à son secours, mais la femme de Tristan par jalousie lui fait croire qu’elle n’est pas dans le bateau. La tristesse, le désespoir de voir son amour le laisser tomber accélère sa mort. « Puisque vous ne voulez pas venir à moi, votre amour me tue. Je ne peux plus retenir ma vie. Je meurs pour vous, Yseult ma belle amie » Iseult arrive et découvre le drame. « Ami Tristan, quand je vous vois mort, il m’est impossible de trouver une bonne raison de vivre. Vous êtes mort de l’amour que vous me portiez, et moi je meurs, ami, de tendresse, puisque je n’ai pas pu venir à temps vous guérir de votre mal »  Elle se jette sur le corps de son ami et meurt.

Le lai de Yonec : C’est une histoire d’amour entre une femme mal mariée et un jeune chevalier. C’est un amour impossible et secret. La femme est enfermée et très surveillée par le vieux mari jaloux et méfiant, « Maudits soient mes parents, Ainsi que tous les autres, Qui ont donné mon âme à ce jaloux, et ont unis mon corps au sien,… Maudit soit ma naissance ! Ma destinée est très dur » Un jour, un oiseau rentre par sa fenêtre. Elle est subjugué de le voir se transformer en un beau chevalier, qu’elle s’exclama « chevaler bel e gent devint » (beau et noble chevalier il devint). Il est là pour la consoler, lui tenir compagnie mais il lui avoue « cela fait longtemps que je vous aime et je vous ai beaucoup désirée dans mon cœur. Jamais je n’ai aimé d’autre femme que vous ». Les amants sont découverts et dénoncés, le mari tue l’amant, alors que sa femme est enceinte. Yonec fruit de la liaison des deux amants vient au monde. Dès qu’il grandit, sa mère lui remet une épée, celle du chevalier disparu, et venge son père…

Le lai Bisclavret : Bisclavret seigneur et ami du roi, est obligé de s’absenter deux à trois jours par mois. Devant l’insistance de sa femme qui le soupçonne d’infidélité, il avoue se transformer en loup-garou à chaque pleine lune. C’est dans la forêt, après avoir pris soin d’enlever et cacher ses vêtements, que la mue s’opère. Son épouse arrive même à lui faire dire où il cache ses vêtements. Elle appelle un jeune chevalier épris d’elle et lui promet mariage s’il lui ramenait les habits de son mari, la prochaine lune. Privé de ses habits Bisclarvet ne peut retrouver sa forme humaine…Les circonstances font qu’il est recueilli par le roi, et mis en présence des deux amants, il les attaque, alors qu’il est inoffensif avec les autres. Torturés ils avouent leur forfait…

Autres lais : 

Lai de Frêne, Lai du Chaitivel, Lai de Milun, Lai d’Eliduc, Lai de Guigemard, Lai d’ Equitain, Lai du Loastic.

Ysopet :

Recueil de fables adaptées des fables d’Esope, le Grec supposé être le créateur du genre. Elles sont au nombre de cent trois, dont voici quelques titres :

En ancien français: Dou Chien é dou Fourmaige, Dou Lion malade et dou Goupil, La Mort et le Bosquillon, de la Soris é de la Renoille, Dou Chien é d’une Berbis, Dou Corbel é d’un Werpilz.

En français nouveau : L’Abeille et la Mouche, L’Ane et le Chien, Les Corbeaux, Le Blaireau et le Cochon, Le Bouc et le Cheval, le Chameau et la Puce, Le Chat qui se fit Evêque.

Roman :

L’Espurgatoire saint Patrice : vieillissante (plus de 60 ans) l’auteur nous emmène dans l’au-delà. Elle décrit avec des détails ahurissants l’enfer et les souffrances du Purgatoire, les peines de l’autre monde, qui attendent le commun des mortels. Elle le fait à travers le voyage d’un chevalier (Owen) dans l’au-delà, qui va affronter une dizaine d’affreux et intenables tourments. Le châtiment pour la Luxure par exemple est la suspension par les organes sexuels (genitailles en moyen français). L’Orgueil est puni en attachant les suppliciés à une roue qui tournent et les élève vers un brasier…Le roman nous plonge dans la représentation qu’on se faisait au Moyen Âge des péchés et du châtiment divin.

Le maître et l'élève surpris par l'oncle

ABELARD (1079-1142) et HÉLOÏSE (1110-1164)

« En doutant nous venons à la recherche, en cherchant nous percevons la vérité » dixit Abélard.

Professeur, philosophe et théologien, Pierre Abélard est né à Le Pallet un bourg de Bretagne d’une famille de la petite noblesse. Surdoué pour son époque, il se retrouve à Loches entre 1093 et 1099 où il a comme maître Roschelin (célèbre pour son introduction du nominalisme en logique). Il arrive à Paris vers 1100. A l’Ecole cathédrale de Paris, où il est un brillant élève, il a comme maître Guillaume de Champeaux (archidiacre de Paris et chanoine de Notre-Dame).

Dialecticien avéré maniant le langage et la grammaire à merveille, ses idées agacent même les grands maîtres au point de lui valoir des déboires. Il ose par exemple confronter foi et raison en abordant la théologie (sacrée) avec la rigueur et la méthode du philosophe. Il est se met à la recherche de lien entre la science et la religion, et devient vite un maître de la logique, dépassant ses maîtres. Il est le premier à utiliser le vocable théologie, pour désigner un ouvrage exclusivement consacré aux religions. Écarté pour ses idées de l’enseignement, il crée sa propre école en 1110 sur la Montagne Sainte-Geneviève pour instruire sur la rhétorique et la philosophie scolastique. Il y reçoit des auditeurs de toutes les nations. Cette école deviendra un siècle plus tard Université (la Sorbonne installée par Robert de Sorban). Il Mais il revient par la grande porte, quand on lui offre une chaire dans la prestigieuse Ecole Cathédrale de Paris où la gloire l’attend. Les élèves affluent toujours de partout même de l’étranger pour suivre le maître. Chassé de nouveau par ceux qui combattent ses idées, il se retrouve moine à l’abbaye royale de Saint-Denis, ermite au Paraclet (Champagne) et même abbé réformateur en Bretagne. Il revient à Paris enseigner quelques années, avant de se retirer à cause de ses déboires avec l’Eglise. Il restera le logicien, l’humaniste, le moraliste le plus célèbre de son époque. On lui doit d’être l’un des principaux fondateurs de la méthode scolastique, mais aussi l’acteur le plus important du renouveau des arts du langage de son époque. « En doutant nous venons à la recherche, en cherchant nous percevons la vérité » dixit Abelard.

La rencontre avec Héloïse :

La jeune fille est accueillie par son oncle Fulbert (chanoine laïc dans Notre-Dame) dans l’enceinte de Notre Dame. Elle est déjà brillante avec ses connaissances en lettres classiques (latin, grec et même hébreu). Le chanoine engage alors Abélard comme tuteur de sa nièce pour parfaire son éducation. Elle a 18 ans et lui 40, mais ils tombent vite amoureux l’un de l’autre. L’oncle soupçonneux les surveille. L’amante écrira plus tard « « Sous prétexte d’étudier, nous nous livrions entiers à l’amour …. Notre ardeur connut toutes les phases de l’amour, et  tous les raffinements insolites que l’amour imagine, nous en fîmes l’expérience ».

Les malheurs d’un couple devenu mythique :

Héloïse tombe enceinte quelques temps après. Elle se rend  en Bretagne chez la sœur d’Abelard pour accoucher secrètement, puis les deux amoureux légitiment leur union par le mariage. De retour à Paris elle se réfugie au couvent d’Argenteuil, brillante elle en devient l’Abbesse. L’oncle jaloux et furieux se venge de cette liaison qu’il n’approuve pas d’une manière criminelle, en envoyant ses amis castrer Abélard. Alors que la jeune femme est chassée du couvent, son mari l’installe au Paraclet. Lui-même trouve pour un temps refuge comme moine dans l’abbaye de Saint-Denis. Ils échangent une correspondance de plus de 113 lettres, célèbres par leur contenu. Ainsi par exemple, de sa retraite l’amante écrit même devenue religieuse « les plaisirs amoureux que nous avons goûtés ensemble ont pour moi tant de douceur, que je ne parviens pas à me les délester… » Même durant ses prières elle ne cesse de penser à lui « Au cours même des solennités de la messe, où la prière devrait être plus pure encore, des images obscènes assaillent ma pauvre âme (…). Loin de gémir des fautes que j’ai commises, je pense en soupirant à celles que je ne peux plus commettre ». Le couvent d’Argenteuil chasse la jeune femme, Abélard lui propose de s’installer au Paraclet

Pendant ce temps Bernard de Clairvaux (moine conservateur et prêcheur de la seconde croisade et non moins son ennemi juré) s’acharne sur lui pour ses convictions religieuses certes, mais plus pour son immense célébrité et ses prouesses dialectiques. Il est condamné au concile de Soissons en 1121, puis à celui de Sens en 1141. La condamnation est  même confirmée cette fois par le pape Eugène III, initiateur de la deuxième croisade. Son dernier livre est également condamné.

Unis pour l’éternité 

Leur correspondance qu’ils ont entretenue  séparés, mélange de passion et de piété ( qui correspond bien à l’amour courtois de  l’époque), montre bien que les deux amants ont continué à s’aimer toute leur vie. Héloïse devient abbesse d’un couvent à Provins qu’elle gérera elle-même. Adélard n’est pas loin, il fonde non loin de là à Paraclet son monastère. Se voient-ils tout ce temps secrètement ? Nul ne peut l’affirmer, puisque qu’il n’est pas fait mention dans aucune des lettres. Ils y demeurent jusqu’à leur mort, lui une vingtaine d’années avant elle. Ils resteront unis dans la mort pour l’éternité, puisqu’ils seront mis dans le même cercueil main dans la main. Sur l’initiative de la Mairie de Paris, leurs ossements sont transférés tout comme ceux de Molière, La Fontaine et de pères jésuites en 1817 au lendemain de la Révolution. Ils figurent désormais dans la collection du musée des monuments français, au cimetière Père Lachaise.  Ce couple mythique n’a pas laissé indifférent. Jean Jacques Rousseau lui-même s’est inspiré de la vie d’Héloïse en écrivant « Julie ou la Nouvelle Héloïse » en 1761. Plus près de nous  en 1991, un jardin de 8000m2  « le square Héloïse et Abélard » dans le 13ème arrondissement  leur est dédié. Plus près encore le chanteur américain Frank Black, chante « Héloïse », une chanson inspirée de l’héroïne du Moyen âge.

Œuvres de Pierre Abélard :

De unitate et trinitate divina, sive Theologia Summi Boni (De l’unité et de la trinité divine, ou Théologie du Bien Suprême, 1120) :

Dans cet ouvrage, on découvre le terme théologie que l’auteur est donc le premier à utiliser. Il est écrit que Dieu ou substance divine est trois personnes « le Père », « le Fils », et « le Saint-Esprit », c’est à dire puissance, sagesse et bonté. Pourtant il n’y a qu’un seul Dieu, formé de la réunion de ces trois aussi différents les uns des autres. Pour l’auteur la foi est l’opinion que l’on se fait des réalités cachées, non évidentes. Il est accusé de trithéisme, alors que l’ouvrage est condamné lors du concile de Soissons en 1121 sous la pression de Bernard de Clairvaux, ennemi juré d’Abelard.

Sic et Non (Oui et Non, ou c’est ça ou ce n’est pas ça, 1122):

L’ensemble de l’ouvrage est disposé selon trois catégories. Foi, sacrements et charité sont abordés avec l’esprit d’un maître es arts du langage. L’auteur y relève les contradictions qu’il y a dans les écrits des Pères de l’Eglise. Il pose un certain nombre de questions sur leurs affirmations qui s’opposent souvent, et auxquelles il tente de répondre. Pour lui le respect à l’autorité de ces gens ne doit pas empêcher l’effort de s’interroger et de chercher la vérité. La critique doit être libre car elle permet d’exciter la personne en quête de vérité clé de la connaissance. « En doutant nous venons examiner, et en examinant nous atteignant la vérité » résume bien sa pensée. Abelard semble bel et bien remettre en cause l’autorité établie, ce qui lui vaut une fronde d’Hommes d’Eglise.

Ethica sive Scito te ipsum (Éthique, ou Connais-toi toi-même, 1139 ou 1125) :

L’auteur s’inspire des propos d’Héloïse dans cette œuvre de logique. Ils lui suggèrent que toute théorie morale est fondée avant tout sur l’intention, c’est-à-dire pas ce qui se fait mais plutôt dans quel état d’esprit cela se fait. « La culpabilité n’est pas dans l’acte mais dans la disposition de l’esprit. La justice pèse, non les actes, mais les intentions. Or mes intentions à ton égard, tu es le seul qui peut en juger, puisque tu es le seul à les avoir mises à l’épreuve » dixit Héloïse. C’est  ainsi  qu’Abelard considère que le péché ce n’est pas tant mal faire (le résultat), mais plutôt l’intention de  nuire. Pour  lui donc ce n’est pas le résultat de l’action (qu’il considère matérialisme moral) qui doit être jugé mais plutôt l’intention elle-même.

Dialogus inter Philosophum, Christianum et Iudaeum, sive Collationes (« Dialogue entre un philosophe, un chrétien et un juif, ou conférences », 1136-1139 ou 1125-1127) :

L’auteur traite dans cet ouvrage du dialogue interculturel. Il met en scène des personnages imaginaire ou qui lui apparaissent dans un rêve qui s’engage dans un débat sur le bien suprême et le bonheur. Alors que le philosophe dit ne suivre que la raison naturelle, le chrétien défend la chrétienté selon un angle philosophique et le juif suit l’ancienne loi.

Carmen ad Astralabium (Poème à Astrolabe, 1132-1139) :

Poème dans lequel la plus grande partie des vers contient des instructions morales assez générales et traditionnelles. On y trouve de nombreuses références aux saintes Ecritures, et aux œuvres des Pères de l’Eglise. Texte didactique de nature morale dédié à son fils Astrolabe, c’est tout un programme de formation éthique pour un jeune homme de l’époque qui est proposé.

Historia calamitatum (Histoire de mes malheurs, vers 1132) :

Il s’agit d’une longue lettre adressée à un ami inconnu mais dans la peine comme lui (qui n’est peut-être qu’un personnage imaginaire), dans laquelle Abélard expose les épreuves, les persécutions, le martyr dont il a été victime à cause de ses idées et de son amour pour Héloïse. La lettre commence par « Aussi, après vous avoir fait entendre de vive voix quelques consolations, je veux retracer à vos yeux le tableau de mes propres infortunes : j’espère qu’en comparant mes malheurs et les vôtres, vous reconnaîtrez que vos épreuves ne sont rien ou qu’elles sont peu de chose… » Il fait état de sa rencontre avec Héloïse et de leur amour, qui leur a valu bien des malheurs « …nous fûmes d’abord réunis par le même toit, puis par le cœur. Sous prétexte d’étudier, nous étions tout entiers à l’amour… » Il raconte son ascension fulgurante jusqu’à faire des jaloux et des ennemis. A propos de son premier maître Guillaume de Champeaux, il écrit « … je ne tardai pas à lui devenir incommode, parce que je m’attachais à réfuter certaines de ses idées,…les partisans les plus passionnés de ce grand docteur et mes adversaires les plus violents l’abandonnèrent pour accourir à mes leçons… »

Sententiae Parisienses (Sentences de Paris ou Sentences théologiques, après 1138):

Cette œuvre nous renseigne bien sur les idées qu’il se fait de la foi en Dieu et du Christ, tout comme des sacrements et de la morale. Elle consacre son principe selon lequel toute vertu est charité. Sententiae Parisienses sont un véritable enseignement moral.

Confessio fidei ad Heloisam (Profession de foi à Héloïse, 1141)

Abelard répond pour la troisième fois indirectement à Saint Bernard qui l’accuse d’hérésie. Il s’explique et se justifie en ce qui concerne sa position théologique, ses croyances divines. Dans ce qui est considéré comme la dernière lettre de l’amant à sa femme, il le fait d’une manière accessible à tous pour être bien compris.

« Ma soeur Héloïse, toi qui m’étais autrefois si chère dans le siècle et qui m’es aujourd’hui plus chère encore en Jésus-Christ, la logique m’a rendu odieux au monde. Des pervers qui pervertissent tout et dont la sagesse est toute occupée à nuire… Je renonce au titre de philosophe, si je dois être en désaccord avec Saint Paul; je ne veux pas être un philosophe pour être séparé du Christ….  Je crois en Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit, seul et vrai Dieu, qui admet la Trinité dans les personnes sans jamais cesser de conserver l’unité dans la substance… Je reconnais que le Saint Esprit est consubstantiel et égal en toutes choses au Père et au Fils, et je l’ai souvent désigné dans mes écrits sous le nom de bonté suprême… »

Autres œuvres :

Theologia Christiana (Théologie chrétienne, 1124)

Theologia Scholarium (« Théologie scolaire, Introduction à la théologie, 1133-1137)

Commentaria In Epistolam Pauli ad Romanos (Commentaires sur l’épître aux Romains de saint Paul vers 1139).

Apologia contra Bernardum (Apologie contre Bernard de Clairvaux,1139-1140) : Première réponse aux accusations d’hérésie de Bernard Clairvaux (Saint Bernard plus tard).

Confessio fidei Universis (Profession de foi universelle) : Deuxième réponse à Saint Bernard.

Epistolae I-VIII ( Règle pour le Parac

Guillaume IX le comte-poète

Les écrivains du Moyen Âge : 

Sans tous ces hommes et ces femmes, nous ne connaîtrions pas grand-chose du moyen âge. Nous commençons avec Guillaume IX, la présentation des écrivains et poètes de cette époque ainsi que leurs oeuvres.

GUILLAUME IX de Poitiers (1071-1126) :

Né le 22 octobre 1071 Guilhem IX de Peitieus en limousin est le premier troubadour, fondateur de la poésie occitane donc en langue romane (ou vulgaire de l’Europe médiévale). Duc d’Aquitaine et Comte de Poitiers, grand-père d’Aliénor d’Aquitaine (reine de France puis d’Angleterre), puissant et riche seigneur prince, héros même d’épopées (première croisade, campagne contre les Maures en Espagne…), il est le premier poète médiéval depuis saint Fortuna (Vie siècle). Il est considéré comme l’un des précurseurs de l’amour courtois. Même s’il évoque la guerre et ses conséquences, il traite surtout de la joie de vivre, des femmes et de l’amour. Ce qui fait de lui certainement, le premier poète à s’engager dans l’écriture érotique. L’expression littéraire de Guillaume dévoile deux aspects contradictoire de sa personne : dérision et cynisme d’un côté, grande courtoisie de l’autre.

Comme ses poèmes sont considérés obscènes et vulgaires, jusqu’à faire état de ses prouesses sexuelles, il est présenté comme un débauché. Sa vie privée (aventures avec les femmes) fait scandale, ce qui lui vaut d’être excommunié par l’évêque de Poitiers. Mais la passion qu’il voue à la Dangerosa (sa maitresse) lui fait découvrir l’amour pur, et que l’homme peut tout aussi bien aimer à la perfection : c’est le « fin’amor » qui l’entraine vers la chanson d’amour pure pour donner naissance à la poésie courtoise. Les textes de Guillaume sont de courts poèmes, des trobars (poèmes chantés) dont il définit lui-même les règles. En ce sens ils contrastent avec les longs récits d’épopées. Il est également connu pour sa passion pour les arts et les lettres. C’est pourquoi sa cour ne désemplit pas, il reçoit souvent des artistes qui viennent parfois de loin.

Troubadour qu’il est, il ne reste pas indifférent aux graves évènements de son époque. S’il profite du départ du comte Raymond IV en croisade (première croisade de  Godefroy De Bouillon) pour annexer Toulouse sa ville, il rejoint celle-ci en mars 1101 accompagné de ses frères Beaudoin et Eustache à la tête de 30 000 hommes. Jérusalem reconquise, il prolonge son séjour pour combattre en Anatolie. Battu puis captif après avoir perdu la presque totalité de ses hommes, il rentre en France une année plus tard (1102). Il part pour une autre croisade en 1220 en Espagne cette fois. Il se bat pendant trois ans dans le royaume de Valence, contre les musulmans pour la Reconquista.

Après une vie de luxure et de débauche dans sa cour, le roi des troubadours consacre la fin de ses jours à la religion avant de mourir en février 1127. Entre-temps il fait reconstruire le palais des comtes de Poitiers, et fait d’importantes donations à l’Eglise. De l’œuvre de Guillaume de Poitiers, malheureusement seules onze pièces et chansons nous sont parvenues. Dans certaines il évoque l’amour, dans d’autres la guerre et ses conséquences sur lui mais de manière plaisante néanmoins (captivité en orient lors des Croisades).

Œuvre connue du troubadour :

Poèmes ou chansons:

Genre descriptif :

« Pos de chantar m’es pres talens »

(Je peux chanter tout ce que m’est pris du talent)

Je peux chanter de mon talent,
Je fais un vers des sentiments,
Je ne serai jamais servant
En Poitou et en Limousin
 
Je partirai, selon l’exil
De la grande peur et du péril,
En guerre, au fils, à ma grande file
Feront, le grand mal, ses voisins.
 
Je quitterai pour l’amitié
La seigneurie de Poitier
Foucon d’Angers, la moitié
De toute ma terre, oh son cousin!…

« Farai un vers de dreyt nien »

(Je ferai un vers d’aucun droit)

Je fais un vers d’aucun giguant
Ni de moi ni d’autre gent
Ni de l’amour ni des jeunes femmes
D’aucun sur vos_rues
Je me trouve alors qu’en dormant
Sur les chevaux_où

 

Je ne sais pas quand je suis né
Ne suis jovial ni irrité,
Ni étranger comme ni privé
N’en puis aller_crû
La nuit où je la dote les fées
Par fois du haut_nu…

« Pus vezem de novelh florir »

(Puisque nous voyons de nouveau fleurir)»

Nous voyons, de nouveau, fleurir
Les vergers avec les prés verdir
Que les fontaines fassent le plaisir,
Souffle le vent
Que la joie lui soit départie
Plus doucement.
 
Dis bien d’Amour, et je le loue
Pourquoi je n’ai ni peu ni prou?
Car je le chante je cave le trou
Que la grande joie
Nous soit donné plus aisément,
J’observe ses lois…
 
« Ben vuelh que sapchon li pulzor »(version 1)

(Bien on veut que on sache le contraste)

 Je voudrais bien comme la plupart des gens de savoir
si ce verset est bien conçu.
J’ai le produire à partir de mon atelier,
depuis que je suis vraiment le champion de cet art
et il est vrai
et je venir comme témoin ce verset lui-même
quand il est fait.
 
Je sais que la sagesse et la folie bien,
et je sais que la honte et de l’honneur
et je dois à la fois peur et le courage;
et si vous proposez un amour du jeu
, je ne suis pas si stupide
que je ne peux pas dire le meilleur
parmi les médiocres.
 
Je sais bien que ceux qui veulent du bien
et ceux qui me haïssent aussi bien
et je sais qui rend joyeux avec moi,
et si messieurs enojy mon entreprise,
je suis tout à fait conscient
que je dois prendre soin de leur confort
et de leur amusement…
 
« Ben vuelh que sapchan li pulzor»(version 2)

(Je veux qu’on chante de la pudeur)

Je veux qu’on chante de la pudeur
Qu’on sache s’elle est de bonne couleur
Ce « vers » très bref prend son auteur
De son métier, j’emporte la fleur,
En vérité,
J’ai le témoin du « vrai acteur »
Qui est lacé.
 
J’ai vu les fous et les penseurs,
J’ai vu la honte avec l’honneur
Et j’ai connu l’audace, la peur
Et son amour, comme leur jongleur,
Je n’en suis pas
Sot que je ne sois pas meilleur
Parmi les choix…
 
Narration sarcastique :

«I Companho, faray un vers … convien »

(Compagnon, je ferai un vers… convenable)

Amis, je ferai un vers qui vous intéresse
 
Amis, je ferai un vers qui vous intéresse
Parce qu’il aura plus de folie que de sagesse,
Trouvez le pêle-mêle l’amour, la joie, la jeunesse.
 
Tenez-le pour un vilain celui qui ne comprend
Jamais, et par cœurs des volontiers je ne l’apprends
 
Pas. Ils se séparent de l’amour selon leur talent.
 
J’ai pour ma selle deux chevaux, alors je suis content;
L’un se dresse au combat, par contre l’autre est vaillant
L’un ne supporte pas l’autre, et ils n’écoutent pas les gens…
 

«II Compaigno, non puosc mudar qu’eo no m’effrei »

(Compagnons, je ne me défends pas de quelque émoi)

Compagnons, je ne me défends pas de quelque émoi
Au thème des nouvelles, je les entends et je les vois
A savoir les gardiens violés qu’une dame appelle à moi
Elle dit qu’ils ne voudraient accepter ni droit ni loi,
Alors qu’ils la tiennent enfermée toujours à eux trois,
L’un lâche un peu, d’autant l’autre lui resserre la courroie.
Tels sont les souffrances qu’ils lui causent, alors c’est pourquoi
Avec elle l’un est le charmant chevalier très courtois
Ils mènent beaucoup le grand bruit que la « mission » du roi…
 

 «V Farai un vers, pos mi sonelh »

(Je ferai un vers puisque je suis endormi)

Je fais un vers fils du sommeil
Je me fatigue sous le soleil
Sache que les dames du mal conseil,
Font le scandale,
Selon l’amour d’un chevalier
Elles tournent au mal.
 
La dame fait un péché mortel
Elle n’aime pas son chevalier miel.
Qui aime un moine et un clerc ciel?
Quelle est raison?
Par le droit, l’homme doit la bruler
Comme un tison.
 
Quand, en Auvergne, en Limousin,
Je vais sans bruit comme le copain
Je trouvai deux femmes: de sire Garin
Et de Bernard;
Elles me saluèrent aimablement
Pour saint Leonard…

«VIII Farai chansoneta nueva »

(Je ferai la chansonnette nouvelle).

Moi, ferai-je une chanson nouvelle
Avant qu’il vente ou pleuve ou gèle;
Ma femme me prouve qu’elle m’est fidèle.
Elle me remue: je suis son chien.
Que ne soient pas mes males querelles
Je ne veux pas perdre son lien.
 
Je me rends, me livrez pensées,
Qu’elle m’ait dans sa charte en français.
Qu’on ne me tient pas d’insensé,
Sans ma bonne femme, si je l’aime,
Je ne vis nulles lois confessées
Tellement de l’amour, j’ai faim…
 

Genre Lyrique :

« Mout jauzens me prenc en amar »

(Gai et jovial je me prends à aimer)

Plaisir, je me prends а aimer,
Je dois partir, bien de la joie,
Je veux revenir et c’est pourquoi
je vais aux mieux si comme jamais
Je te cherche, je suis honoré
Qu’on sache je t’entends: je te vois.
 
C’est la coutume de me vanter
Ni selon les louanges, sais bien dire,
Jamais aucune joie put fleurir
Plus que l’autre, mais elle doit porter
Graine, à coup s’éclaire la beauté…
 

« Ab la dolchor del temps novel »

(A la douceur du temps nouveau) 

Par la douceur d’un temps nouveau
Feuillent les bois et les oiseaux
Chantent chacun en son latin
Selon les vers d’un chant nouveau
Donc il est bien de rechercher
Ce que tout homme a plus envie
 
Pendant que tout m’est bel et bon
Je ne vois signe ou messager
Aussi mon cœur ne dort ni rit
Et je n’ose éloigner mes pas
Pour savoir si sera la fin
Telle ainsi que je le désire
 
De notre amour il va ainsi
Comme une branche d’aubépine
Qui est sur l’arbre et dans la crainte
La nuit au gel ou à la pluie
Mais le matin sous le soleil
Feuille et verdit tout le rameau…
 
Discographie:

Comprend l’intégrale des chansons de Guillaume de Poitiers:

  • Companhon farai un vers qu’er convinen- Companho tant ai agut d’avols conres
  • Ben vuelh que sapchan li plusor-Companho non puosc mudar qu’eo non m’effrei
  • Pus vezem de novelh florir-Mout jauzens me prec en amar / Farai un vers de dreyt nien
  • Farai chansoneta nueva-Ab la dolchor del temps nouvel
  • Farai un vers pos mi soneilh-Pos de chantar m’es pres talens
  • Las Cansos del Coms de Peitieus

Bibliographie sur Guillaume:

  • Les poètes françois, depuis le XIIe siècle jusqu’à Malherbe
  • Pierre René Auguis, 1824
  • Les chansons de Guillaume IX, duc d’Aquitaine (1071-1127)
  • Jeanroy. Paris : Champion, 1913, 1927
  • Les Chansons d’amour et de Joy de Guillaume de Poitiers, IXe duc d’Aquitaine.
  • Jean de Poitiers. Paris: Eugène Figuière, 1926
  • Le Prince d’Aquitaine : essai sur Guillaume IX, son oeuvre et son érotique
  • Jean-Charles Payen. Paris: H. Champion, 1980
  • L’amour libérée ou L’érotique initiale des troubadours
  • Jean-Claude Marol. Paris : Dervy, 1998
  • Guillaume le Troubadour : duc d’Aquitaine fastueux et scandaleux
  • Bernard Félix. Anglet : Aubéron, 2002
  • Le comte de Poitiers, premier troubadour : à l’aube d’un verbe et d’une érotique
  • Pierre Bec. Montpellier : Centre d’études occitanes, 2004

 

Les croisés arrivent en Terre sainte

Quand le pape Urban II appelle aux armes 

Les Turcs Seldjoukides envahissent la région (Moyen-Orient) vers 1095. Ils occupent notamment  la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et ses lieux saints. L’occupation de Jérusalem qui abrite le Saint sépulcre, donc la tombe du Christ, choque et indigne l’Occident Chrétien. Dès lors ceux qu’il considère comme des infidèles persécutent les pèlerins chrétiens venus de toute l’Europe, et les empêchent même de se rendre aux lieux saints.

La libération de Jérusalem et répondre à l’appel des Byzantins (Empire romain d’Orient) objets d’attaques des musulmans, ne sont pas les seules raisons qui motivent l’envoi de combattants d’Europe. Pour le Pape Urban II une guerre sainte est une bonne opportunité pour ramener la paix à l’intérieur de la chrétienté, que la Paix de Dieu et la Trêve de Dieu ne sont pas arrivées à instaurer. Proclamer la croisade c’est aussi détourner la violence des chevaliers vers une noble cause (moraliser la chevalerie), et surtout mettre fin au brigandage, au pillage et à la rapine des centaines de jeunes formés aux armes mais désœuvrés, en les envoyant se faire tuer. D’autres non-dits sont des facteurs d’ordre politique et économique.

C’est lors du consil de Clermont qui réunit Urbain II et les évêques le 27 novembre 1095 qu’est proclamé officiellement la Croisade pour reprendre le Saint-Sépulcre aux musulmans. Dans son discours qu’il achève par « Voici le moment du vrai courage , voici une guerre juste et sainte », le pape invite les chrétiens à l’usage des armes. En signe d’approbation, la foule répond par « Deus lo volt » (Dieu le veut). La voulant populaire, le pape sillonne la France promettant une rémission de leurs pêchés, la promesse d’une vie éternelle à tous ceux qui mourront lors de cette sainte guerre. Avec Pierre l’Ermite prédicateur populaire et influent, des milliers de personnes rejoignent le première Croisade. Elle est dirigée en 1096 par Raymond IV (comte de Toulouse), Bohémond Ier (prince de Tarente et d’Antioche), Godefroy de Bouillon (chevalier), Tancred (chevalier). Au moins 30 000 hommes, dont beaucoup de pèlerins désireux juste de se recueillir sur la tombe de Jésus, prennent la route des lieux saints qui par route qui par mer. Partis plus de deux ans et demi plus tôt, les croisés arrivent à Jérusalem après des combats sanglants, tant de  privations et d’épreuves. Après un long siège, ils s’emparent enfin de la ville en 1099. Un nouveau royaume chrétien et deux nouveaux ordres de chevaliers (les Hospitaliers et les Templiers) sont instaurés. Godefray de Bouillon considéré comme le héros de cette expédition rejette le titre de  roi qu’on lui propose, et qui l’oblige à porter une couronne en or dans un lieu où Jésus l’avait porté en épines et souffert. Il le troc pour celui d’Advocatus Cancti Sepulchri (Avocat du Saint-Sépulcre ou tombeau du Christ). La terre sainte vit de nouveau dans la stabilité et la cohabitation entre musulmans, chrétiens et juifs, du moins en apparence. Pas pour longtemps.

Moines copistes au Moyen-âge

Naissance de la littérature du Moyen Âge :

La littérature médiévale ou du Moyen âge concerne toutes les œuvres littéraires de l’Occident, produites ou écrites durant ce millénaire. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, c’est cette période essentiellement instable, qu’on qualifie de barbare et féodale qui voit naître la langue française et sa littérature. Ce qui a fait dire aux spécialistes de cette époque que c’est « La période par excellence des enfances de la littérature française ». Cette époque mystérieuse est pourtant, sans aucun doute,  l’inspiratrice de plusieurs auteurs de grandes œuvres littéraires du XIXème siècle. L’activité littéraire est d’une certaine façon encouragée par les rois, les princes, les puissants. En effet, « l’écrivain » bénéficie de la protection et de subsides d’un prince ou d’un puissant, ce qui lui permet d’être à l’abri du besoin. En échange de quoi il est à son service, pour mener à bien ses commandes. Résultats, les textes sont écrits de façon à lui plaire, le séduire. L’essentiel des genres poétiques et narratifs français voient le jour dès les XIIe et XIIIe siècles

Comme partout, la littérature en France durant le Moyen âge est à ses débuts essentiellement  orale. Mis à part les clercs qui assurent la vie intellectuelle avant la naissance des universités, les autres ne savent ni écrire, ni lire. De plus sans moyen d’impression, la plupart des œuvres parviennent au public ou dans les cours par le chant ou simplement débitées. Cette littérature est l’œuvre de troubadours (appelés ainsi au sud) et de trouvères (appelé ainsi au nord), qui composent d’abord en vers. Leurs lieux de prédilections sont les châteaux, où en échange d’un repas copieux les nobles se font distraire par leur poésie plutôt courtoise. Leurs vers sont rapportés également par les jongleurs. Ces chanteurs ambulants vont de village en village, de cours en cours aussi, et font partie de ce qu’on appelle le cercle des amuseurs comme les clowns, les baladins, les saltimbanques…En ce sens ils sont donc les diffuseurs des troubadours et des trouvères, mais ils ne sont pas toujours tolérés. Ceux-ci sont donc incontestablement les précurseurs de la littérature française, longtemps influencée par la littérature médiévale. Même si pendant un temps, celle-ci est l’émanation d’une élite féodale, soucieuse de répandre ses idéaux telles que la bravoure, la piété, la fidélité…et structurer la société à sa guise. L’omniprésence de la foi chrétienne et des exploits guerriers dans cette littérature, sert à légitimer et assoir le système féodal. D’autres formes voient le jour plus tard, avec l’avènement d’une certaine bourgeoisie (lyrique, satirique…)

Le premier texte qu’on connaît du Moyen âge apparaît entre 880 et 883, et il est traduit du latin. « Séquence de sainte Eulalie » est un long poème qui évoque la religion, tout comme le reste de la littérature médiévale à ses débuts. On attribue généralement aux œuvres Boèce (conservée à la bibliothèque d’Orléans) et à la Chanson de Sainte Foi d’Agen (conservée à la bibliothèque de l’Université de Leyde), le statut de premiers écrits occitans (vers l’an 1000). La littérature française fait ainsi ses premiers pas avec des cantilènes (morceaux de poésies monotones), avant de connaître un essor considérable à partir du milieu du XIème siècle. Écrits avec l’ancien français jusqu’au XIIIème siècle, la langue évolue pour devenir trois siècles plus tard, le moyen français. Mais l’événement le plus importante dans l’histoire de la langue française reste « Les Serments de Strasbourg ». Le texte écrit dans deux langues, l’une à l’origine de l’allemand (tudesque) et l’autre du français (romane), définit une alliance entre deux des petits-fils de Charlemagne. Il s’agit de Louis le Germanique qui occupe la zone germanique de l’empire et Charles le Chauve qui occupe la zone française, contre leur frère aîné Lothaire qui lui est à la tête de  la Lotharingie située entre les deux. Cette alliance militaire est établie pour faire face aux ambitions du grand frère, qui revendique le titre d’empereur d’Occident, c’est-à-dire des trois territoires. Mais bien avant en 813 déjà, le concile de Tours réuni par Charlemagne avait proclamé la reconnaissance des deux plus grandes composantes linguistique de son empire : la langue romane (de la campagne et issue du latin) et la langue tudesque ou germanique. Cet événement marque une étape importante dans la formation de la langue française.

La poésie lyrique et la chanson de geste constituent l’essentiel de la littérature médiéval jusqu’au milieu de Ixième siècle. Celle-ci s’exprime en latin, la langue de l’église et des ecclésiastiques (de la Bible donc), jusqu’à l’occupation romaine de la Gaule qui voit apparaitre deux langues (influencées par cette même langue). La première, langue d’Oc, voit le jour au Sud de la France (Sud de la Loire) en Occitanie qui compte le Languedoc, la Gascogne, le Limousin, la Provence et l’Auvergne. Influencée par la clémence du Sud du pays contrairement au nord, tirant son inspiration des rythmes latins de l’Église et de l’Espagne sous domination musulmane (Mozarabe), la poésie lyrique est courtoise et d’une sensibilité très vive. Encouragée par la noblesse elle trouve son plein épanouissement dans les cours, qui accueillent les poètes pour divertir les seigneurs en espérant que ceux-ci fassent preuve de générosité. La noblesse a aussi ses poètes, dont le plus célèbre est Guillaume IX d’Aquitaine fondateur de la poésie occitane. Sa petite-fille Aliénor, reine de France (1137-1152) puis d’Angleterre (1154-1204), est connue pour son attachement aux lettres dont elle est une fervente protectrice.

Au nord de la Loire apparaît la seconde langue, la langue d’oïl. Là se développe la chanson de geste, un genre épique (lié à l’épopée). Elle relate des hauts faits et triomphes de guerres (Croisades, guerre de cent ans…), mais aussi des drames imaginaires, des légendes. Les guerres inspirent donc ces écrits, qui marquent les véritables débuts de la littérature française. Ils sont composés en langue d’oïl par des trouvères, poètes et compositeurs issus de la noblesse ou de la bourgeoisie. Comme elle est le plus souvent récits d’exploits chevaleresques et de contes d’aventures, la chanson de geste est  la préférée de seigneurs. Elle incarne aussi le plus souvent, l’intérêt que manifeste le peuple pour les faits héroïques et romantique. C’est même un besoin pour lui : s’évader, rêver, dans une société où il est difficile de survivre. On citera la Chanson de Roland, Tristan et Iseult, Perceval, Le Chevalier au lion, Les Chroniques de Joinville et Villehardouin  etc. Les clercs de leur côté étaient plus portés sur une poésie moralisante et allégorique, une littérature plutôt savante représentée par Le Roman de la Rose. Ils ont le mérite de faire avancer les choses, de briser des tabous avec leur esprit frondeur dont la référence est la science. Quant aux bourgeois qui aimaient se moquer des pratiques et mœurs de leur temps, ils affectionnaient les fabliaux et les satires. Le Roman de Renart,  où il est question d’animaux parodiant la chevalerie et faisant la leçon aux hommes, en est l’exemple type.D’autres genres suivent qui nous autorise à parler de classification ou de genres littéraires.

Poésie épique ou Chanson de geste (XIème siècle) : le mot « geste » signifie « actions faites » référence aux « exploits guerriers », qu’elle relate en mêlant légendes et faits historiques tout en mettant en valeur l’idéal chevaleresque. Poèmes narratifs où se mêlent faits historiques et légendes, elle est un peu l’égale des poèmes homériques de la Grèce antique, de l’épopée scandinave, germanique ou encore anglo-saxonne. C’est le véritable début de la littérature d’expression française. Écrites par des trouvères, les chansons de geste relatent les exploits guerriers, les héros, mais aussi des légendes pour faire rêver. Elle s’inspire des cantilènes et autres chants populaires que les femmes particulièrement, entonnent pour soulager leurs peines, lorsque les hommes partent au front. La chanson de geste illustre particulièrement l’idéalisation de la société féodale, à travers des héros dont on met en avant l’esprit chevaleresque, et présentés comme animés de générosité, de courage, de sens du sacrifice, de courtoisie aussi… Elle est sensée véhiculer des valeurs, référence morale pour la société. La Chanson de Roland  par exemple, écrite au XIème siècle, rapporte les exploits de l’armée de l’Empereur Charlemagne. Elle est considérée comme l’œuvre majeure, qui ouvre la voie à la langue française. La chanson de geste a été exploitée par l’aristocratie pour légitimer son pouvoir à travers des histoires, des récits des hauts faits du passé, fondateurs et souvent commandées auprès des trouvères. Elle sert aussi à faire l’éloge de sanctuaires, afin d’attirer les pèlerins et se faire de l’argent.

-La poésie lyrique ou la littérature courtoise : elle revêt deux formes le « lai » (forme fixe) et le roman elle apparaît au XIIème siècle avec les troubadours, pour glorifier l’amour unique et idéal, véhiculé par des personnages souvent héroïques. Le thème de l’amour y est exprimé avec raffinement, d’où certainement son appellation. L’influence du sentiment religieux prédomine, jusqu’à la soumission à une vie amoureuse codifiée strictement. Qu’elle soit sous une forme fixe (appelée « lai »), ou long récit écrit en vers ou en prose (roman courtois), cette littérature s’intéresse à la passion amoureuse et ses dangers, à la façon d’aimer, en mettant en avant des aventures souvent dramatiques, prétend véhiculer un modèle servant de référence. L’exemple type est la légende de « Tristan et Iseult », l’histoire d’un amour impossible, qui se termine par la mort des deux amants. Toujours sur le thème de l’amour courtois, « Le Roman de la Rose » du début du XIIIème siècle est considéré comme un chef d’œuvre, et serait le dernier du genre. A noter qu’à l’époque Roman signifiait tout ce qui n’était pas en latin donc Oc ou Oïl.

-La poésie ou littérature satirique : appelée aussi Fabliaux ou populaire, elle apparaît pour railler les valeurs féodales et courtoises. C’est la littérature de la bourgeoisie, narquoise mais réaliste. Les auteurs anonymes font rire, et s’amusent à prendre leur revanche sur les plus forts, en se moquant d’eux  avec de petits récits comiques, parfois grossiers mais toujours avec une morale. Cette poésie moralisante, qui utilise les animaux pour critiquer les hommes, est incontestablement éducative. Le « Roman de Renart  » est la première œuvre littéraire satirique, roman voulant dire alors écrit en langue romane (français vulgaire). Les personnages sont des animaux qui paraissent doués de raison, auxquels on attribue des traits de caractères humains (naïveté, vice, malhonnêteté, ruse…). Elle s’adresse donc essentiellement au peuple, tout en se riant de la noblesse.

-Les Chroniques : premières œuvres rédigées en prose française, elles rapportent les exploits de guerriers. Elles sont souvent idéalisées, empruntes d’un caractère moralisant pour la société. Les auteurs y ont souvent participé ou y ont été témoins. Les premières inspirations viennent des Croisades, avant que « La Guerre de Cent Ans » ne soit rapportée par Jean Froissart. Les chroniques sont les prémisses d’œuvres historiques, leurs auteurs les premiers historiens sans doute.

-Le Théâtre : considéré comme primitif, il apparaît sur scène tardivement, à partir du XIVème siècle. Il est d’abord d’inspiration religieuse (Rutebeuf), situé entre le profane et le sacré. Il voit le jour dans les églises, où Mystères tels que l’Ascension, Noël, Pacques…et la vie des Saints sont mis en scène. Mais très vite, en dehors se développe un théâtre d’un autre genre (Adam de la Halle) « La Farce » ou « Les Farces », qui devient très populaire. Comique, ironique, railleur, pourtant moralisant, il est combattu par les autorités religieuses en vain, parce qu’il leurs faisaient de l’ombre. La première pièce, œuvre majeure, voit le jour en 1460. Il s’agit de « La farce de Maître Pathelin » dont on ne connaît pas l’auteur. Ce genre est repris avec succès par Molière, plus de deux siècles plus tard.

Conclusion :

En résumé, les auteurs du Moyen-âge nous lèguent pas loin de 900 œuvres complètes, qui constituent une toute première bibliothèque propre à cette période. Ces hommes et femmes contribuent largement à faire évoluer les langues qui forment l’ancien français en une seule, le moyen français, au bout de quelques siècles. Ces œuvres littéraires sont aujourd’hui présentes grâce au passage de  l’oralité à l’écriture, puis au manuscrit qui apparaît avant le XIIIème siècle dans les abbayes. Des clercs (copistes) recopient des œuvres pour les bibliothèques des couvents. Puis apparaissent des ateliers séculiers qui ont une véritable activité d’édition, pour répondre aux besoins des écoles et universités naissantes, et aux nombres de lecteurs grandissant. L’édition est donc l’œuvre de copistes, qui créent ainsi pour la première fois le commerce du manuscrit. Le plus célèbre est David Aubert (XVème), écrivain, compilateur et copiste. Mais on oublie que bien avant lui il y a Alcuin. Ce moine anglais appelé avec d’autres érudits par Charlemagne (768 – 814), produit au moins cinquante exemplaires de la Bible avant de  mettre en place un atelier de copistes. C’est grâce à eux que des dizaines d’œuvres sont alors récupérées et conservées. Les Carolingiens utilisent du parchemin (peau d’agneau et de veau) au lieu du papyrus, abandonné déjà par leurs prédécesseurs les Mérovingiens. Si nous héritons de peu d’œuvres pour un millénaire, c’est parce qu’une bonne partie avait déjà  disparue faute de publication écrite. La littérature du Moyen âge se caractérise par conséquent non pas par sa profusion, mais par son originalité et surtout sa diversité et sa richesse avec plusieurs styles et genres. Qualifiée de d’obscurantiste et barbare, elle a mauvaise réputation durant la Renaissance, avant que les romantiques du XIXe siècle ne la redécouvre et l’apprécie. Pour preuve, les auteurs de cette époque s’inspirent de ce riche héritage. Fort heureusement aussi plusieurs auteurs se sont penchés depuis sur ce passé médiéval, pour réveiller en nous la mémoire de cette époque qui aurait pu sans eux être oubliée. Nous allons maintenant pour la période du Moyen âge ici définie allant du 9e siècle au 15e siècle, vous faire découvrir les « auteurs » qui ont le plus marqué cette littérature, ainsi que leurs œuvres essentielles.