Agrippa d’Aubigné, poète et militant banni de la cause protestante
21 Jan 2015 | Publié par dans Histoire de la littérature française | La RenaissanceBiographie de Théodore Agrippa d’Aubigné
Poète français, considéré également historien et homme de guerre, Théodore Agrippa d’Aubigné naît le 8 février de 1552 au château de Saint-Maury (près de Pons, Saintonge) de Jean d’Aubigné (juge) et Catherine de L’Estang (petite noblesse). Sa mère meurt durant l’accouchement, ce qui vaut au nouveau-né d’être prénommé Agrippa du latin aegre partus (accouchement difficile). Elevé dans la religion protestante, alors qu’il a été baptisé dans la religion catholique, il devient un calviniste inflexible qui lui vaudra des déboires.
Au contact des percepteurs calvinistes Agrippa parle dès l’âge de sept ans le latin, le grec, l’hébreu et le français bien sûr. A l’âge de dix ans il est envoyé par son père chez Mathieu Béroalde, à Paris, pour ses études. Il quitte la ville avec son professeur deux mois plus tard après l’arrêt ordonnant l’expulsion des protestants, suite au soulèvement protestant et la guerre. Déjà témoin des suppliciés d’Amboise (1560), il est encore présent lors du siège d’Orléans au cours duquel son père est tué (1563). Il est alors mis à l’abri à Genève, et continue ses études sous la protection de Théodore de Bèze vers 1565. Mais quand éclate la seconde guerre de religion en 1567, il rejoint l’armée protestante dans laquelle il s’illustre par ses exploits militaires. Tout en restant vertueux, il combat pour son idéal politique tantôt par la plume, tantôt par les armes. Ce qui lui vaut d’être condamné à morts à quatre reprises.
Après le massacre de protestants à la Saint-Barthélemy en août 1572, Théodore retourne à la cour de France et se lie avec le roi de Navarre (futur Henri IV) pour lequel il devient écuyer. Il aurait feint d’être catholique, tout comme le futur roi qui en gage de sa sincérité envoie son entourage dont Théodore combattre les protestants en Normandie notamment. En courtisan accompli, il côtoie les plus grands de la cour qui l’apprécient pour son intelligence et son esprit critique. Il reste un fidèle compagnon du roi de Navarre devenu Henri IV. Mais quand celui-ci se convertie au catholicisme, Agrippa d’Aubigné reste fidèle à la cause protestante et ennemi acharné de l’Eglise romaine. Il accuse le roi de trahison, se met à l’écart avant de se réfugier à Genève en 1620 où il décède en mai 1630.
Œuvre de Théodore Agrippa d’Aubigné
Tout à la fois historiographique, autobiographique, épico-lyrique, lyrique et satirique, l’oeuvre d’Agrippa d’Aubigné est essentiellement polémique. Elle est un parfait témoignage des luttes politiques et religieuses qui bouleversent la France et l’Europe au début de la Renaissance. Sa plume est guidée par son attachement à sa religion (protestantisme) et au combat des huguenots (protestants) pour leur foi. En ce sens elle est partisane.
Au coeur du conflit, associé aux grands événements que sont l’humanisme, la Réforme et les guerres de Religion et militant engagé dans les luttes de son époque, il s’attaque à la cour royale et ses vanités, ainsi qu’à la religion catholique. Il reste donc un témoin privilégié et précieux des atrocités des guerres de religions en France. Agrippa chante par ailleurs l’amour. Sa poésie amoureuse lui est inspirée par Diane Salviati (nièce de la Cassandre chantée par Ronsard) dont il est amoureux, mais qu’il ne peut épouser car de confession différente (catholique).
Théodore Agrippa d’Aubigné reste malgré tout méconnu de ses contemporains. C’est à l’époque romantique que Victor Hugo puis Sainte-Beuve (un critique) notamment révèlent l’homme et son oeuvre, destinée à justifier l’autonomie politique et militaire des protestants français.
Œuvres de Théodore Agrippa d’Aubigné :
Les Tragiques:
(1616, revus jusqu’en 1630)
Œuvre en sept chants de 9000 verts, Les Tragiques regroupent tous les genres de l’épopée à la satire en passant par le lyrisme et la tragédie. Pensée certainement lors des haltes des combats donc en prise sur l’actualité historique, elle nous rapporte les atrocités commises lors des guerres de religion en France ainsi que les souffrances des persécutés. Il dénonce avec violence ces guerres causées par la folie meurtrière des hommes, et durant lesquelles selon lui s’affrontent le Bien (les Justes) et le Mal (les Intolérants).
Misères (premier livre)
Dans ce premier livre, d’Aubigné nous fait le portait de la France de son époque «Je veux peindre la France une mère affligée). Il met sous nos yeux l’état d’un royaume déchirée donc agonisante, dans un récit des violences, des persécutions, de l’intolérance et des souffrances… Il met en cause Catherine de Médicis qui détenait en ce moment le pouvoir, qu’il critique sans retenue, et au cardinal de Lorraine.
Extraits :
Puisqu’il faut s’attaquer aux légions de Rome,
Aux monstres d’Italie, il faudra faire comme
Hannibal, qui, par feux d’aigre humeur arrosez,
Se fendit un passage aux Alpes embrazez.
Mon courage de feu, mon humeur aigre et forte,
Au travers des sept monts fait breche au lieu de porte.
Je brise les rochers et le respect d’erreur
Qui fit douter Cæsar d’une vaine terreur.
Il vit Rome tremblante, affreuse, eschevelée,
Qui, en pleurs, en sanglots, mi-morte, désolée,
Tordant ses doigts, fermoit, deffendoit de ses mains
Le visage meurtry de la captive Eglise,
Qui à sa delivrance (aux despens des hazards)
M’appelle, m’animant de ses trenchants regards.
Mes desirs sont des-ja volez outre la rive
Du Rubicon troublé ; que mon reste les suive
Par un chemin tout neuf, car je ne trouve pas
Qu’autre homme l’ait jamais escorché de ses pas.
Pour Mercures croisez, au lieu de Pyramides,
J’ay de jour le pilier, de nuict les feux pour guides.
Astres, secourez-moy ; ces chemins enlacez
Sont par l’antiquité des siecles effacez,
Si bien que l’herbe verde en ses sentiers accrüe
Est faicte une prairie espaisse, haute et drüe.
Là où estoient les feux des Prophetes plus vieux,
Je tends comme je puis le cordeau de mes yeux,
Puis je cours au matin, de ma jambe arrossée
J’esparpille à costé la premiere rosée,
Ne laissant après moy trace à mes successeurs
Que les reins tous ployez des inutiles fleurs,
Fleurs qui tombent si tost qu’un vray soleil les touche,
Ou que Dieu fenera par le vent de sa bouche…
Non pas terre, mais cendre : ô mère ! si c’est mere
Que trahir ses enfants aux douceurs de son sein,
Et, quand on les meurtrit, les serrer de sa main.
Tu leur donnes la vie, et dessous ta mammelle
S’esmeut des obstinez la sanglante querelle ;
Sur ton pis blanchissant ta race se debat,
Et le fruict de ton flanc faict le champ du combat. »
Je veux peindre la France une mere affligée,
Qui est entre ses bras de deux enfants chargée.
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tetins nourriciers ; puis, à force de coups
D’ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
Dont nature donnoit à son besson l’usage :
Ce voleur acharné, cet Esau malheureux,
Faict degast du doux laict qui doibt nourrir les deux,
Si que, pour arracher à son frere la vie,
Il mesprise la sienne et n’en a plus d’envie ;
Lors son Jacob, pressé d’avoir jeusné meshuy,
A la fin se defend, et sa juste colere
Rend à l’autre un combat dont le champ est la mere…
Celuy qui vous faict naistre ou qui deffend le pain,
Soubs qui le laboureur s’abbreuve de ses larmes,
Qui souffrez mandier la main qui tient les armes,
Vous, ventre de la France, enflé de ses langueurs,
Faisant orgueil de vent, vous monstrez vos vigueurs.
Voyez la tragedie, abbaissez vos courages.
Vous n’estes spectateurs, vous estes personages :
Car encor vous pourriez contempler de bien loing
Quand la mer l’engloutit, et pourriez de la rive,
En tournant vers le ciel la face demi-vive,
Plaindre sans secourir ce mal oisivement.
Mais quand, dedans la mer, la mer pareillement
Vous menace de mort, courez à la tempeste :
Car avec le vaisseau vostre ruine est preste.
La France donc encor est pareille au vaisseau
Qui, outragé des vents, des rochers et de l’eau.
Loge deux ennemis : l’un tient avec sa troupe
La proue, et l’autre a pris sa retraitte à la pouppe…
Mes cheveux estonnez hérissent en ma teste;
J’appelle Dieu pour juge, et tout haut je déteste
Les violeurs de paix, les perfides parfaicts
Qui d’une salle cause amenent tels effects.
Là je vis estonné les cœurs impitoyables,
Je vis tomber l’effroy dessus les effroyables.
Quel œil sec eust peu voir les membres mi-mangez
De ceux qui par la faim estaient morts enragez!
Et encore aujourd’huy, sous la loy de la guerre,
Les tygres vont bruslants les thresors de la terre,
Nostre commune mère; et le degast du pain
Au secours des lions ligue la pasle faim.
En ce point, lors que Dieu nous espanche une pluie,
Une manne de bleds, pour soustenir la vie,
L homme, crevant de rage et de noire fureur,
Devant les yeux esmeus de ce grand bien-faicteur,
Foule aux pieds ses bien-faicts en villenant sa grace,
Crache contre le Ciel, ce qui tourne en sa face…
La Chambre dorée (troisième livre) :
Satire dans la continuité des Princes. Les vices de la cour sont blâmés publiquement et sans vergogne. La chambre de justice du Parlement de Paris et sa « justice cannibale » et abjecte ne sont pas épargnées. Ils qualifient les juges de magistrats corrompus «mangeurs d’hommes », qui avalent leurs victimes innocentes
…Tu avais en sa main mis le glaive trenchant
Qui aujoird’ hiiy forcené en celle du meschant.
Arme de la prière, et non point des couteaux :
Dedans les seins tremblants des pasles spectateurs?
Qui s’irrite de soy, contre soy s’enfellonne,
Vengeances (sixième livre):
Comme le titre l’indique, Théodore Agrippa d’Aubigné appelle dans ce chant les huguenots à continuer de se battre et d’y croire pour qu’enfin la vengeance se réalise. Il les implore à refuser la paix de compromission. Pour les encourager il montre que depuis l’origine du monde, Dieu a toujours été du côté des persécutés de l’Eglise.
Extraits:
… Sans fiel et sarjs venin ; donc, qui sera-ce, ôDieu,
Jugement (septième livre):
Dans le Jugement Agrippa en appelle également à la colère divine, invoquant Dieu pour juger et punir les coupables. C’est l’ultime recours, qui s’achève par la résurrection de la chair après la destruction du monde. Les protestants triomphent enfin, dans ce jugement dernier des criminels de guerre.
D’Aubigné rend hommage aux huguenots qui sont restés fidèles à leur cause, et fustige avec véhémence ce qui se sont montrés prudents ou pire encore les lâches qui se sont rendus à la cour.
Extraits:
Vo pères sortiront des tombeaux effroyables ;
Leurs images au moins paroistront vénérables
A vos sens abbattus, et vous verre: le sang »
Qui mesle sur leurs chefs les touffes de poil blanc,
Du poil blanc hérissé de vos poltronneries;
Celle des triomphais sera vivifiante -,
Histoire Universelle
(1516 puis révisée et complétée après 1520):
Avec son Histoire Universelle à laquelle il consacre près de trente ans de sa vie (1595 à 1522), d’Aubigné nous plonge encore dans les guerres de religions de 1550 à 1601 auxquelles il est souvent mêlé. Ecrit à la demande du roi Henri IV selon lui, le contenu est plus modéré et apaisé que les Tragiques. Il fait l’effort de ne pas juger les hommes et les choses du point de vue d’un protestant. Mais malgré son souci d’impartialité qui paraît de bonne foi, son livre est condamné en 1620 et brûlé pour apologie du protestantisme.
En historien d’Aubigné recueille surtout les éléments, favorables aux protestants, dans un monde où la Providence a commencé son œuvre dans un projet divin. Il le fait certes comme un soldat témoin du terrain des affrontements, mais son argumentation valorise plutôt le parti protestant à qui il accorde une légitimité guerrière. Dans l’Histoire Universelle l’auteur fait d’abord appel à ses propres souvenirs et aux témoignages oraux. Ils puisent également ses informations dans les écrits tels que Histoire de France de la Popelière, Historia sui temporis de De Thou et des mémoires manuscrits transmis notamment par des capitaines. Alors que la pacification est accompagnée de l’instauration d’une histoire officielle du royaume, l’auteur cherche à faire celle des protestants dont il est devenu l’âme incorruptible et irréductible.
L’ouvrage, dans lequel on relève des imperfections dans la topographie et la chronologie des événements, est composé de trois parties. La première concerne les guerres menées par Louis de Bourbon, prince de Condé, et l’amiral Coligny de 1553 à 1570. On y retiendra notamment la femme de Coligny exhortant son mari à engager la lutte armée, ou encore les cruautés d’Eric XIV. La seconde va des préludes du massacre de la Saint-Barthélemy (1572) en 1571, jusqu’ aux premiers succès de la Ligue en 1576. La dernière retrace l’histoire de la Ligue et nous mène jusqu’à la complète pacification de la France et la promulgation de l’Édit de Nantes signé par Henri IV le 13 avril 1598. Cet Edit marque la victoire enfin de la tolérance, faisant de la France le premier royaume d’Europe où la religion du roi n’est pas imposée officiellement au peuple.
L’auteur nous laisse des détails intéressants sur les derniers Valois, notamment Henri IV et son entourage, analysant profondément la politique royale. La richesse et la précision des faits de guerre rapportés en font une œuvre capitale pour la connaissance des maux infligés au royaume par ce conflit, l’armement utilisé, les sièges, les tactiques de guerre, la mentalité des combattants … Fait nouveau chez d’Aubigné, il ne justifie pas les succès et les revers des uns et des autres par des considérations théologiques. Mieux encore il n’épargne pas ses coreligionnaires, quand ils sont responsables de certaines guerres et des violence dont ils sont coupables. Il n’hésite pas signaler les qualités humaines et guerrières de certain catholiques. Mais par moment le naturel revient au galop, peut-être à son insu, et l’on redécouvre l’ardent défenseur de la cause des calvinistes.
Extraits:
Trois puissants fleaux de Dieu furent en mesmes temps desploiez sur la France Occidentale ; car la famine et la peste s’ameuterent à la guerre, dequoi parut à S. Jean d’Angeli un tableau digne de mémoire, lors que cette ville n’avoit pas pour habitant que la guette du clocher, tout le reste du peuple aiant fait des maisons de ses linteux sur la contr’escarpe et dans le Sosse. Or avant que les Refformez du païs seussent aucunes nouvelles de leur Princes et Grands, emportez par la tempeste que nous avons descrite en la grande et petitte Bretagne : ils en eurent certaines et proches de la premiere armee qu’on leur envoioit sur les bras.
Elle fut pour le Duc de Maienne, composee de douze copagnees d’Ordonnance, qui faisoient 800 lances, 400 Italiens ou Alboinois, 900 Reitres, de fix à 7000 fantacins Francois, 5500 Suisses, et puis la Noblesse volontaire qui se joignit à l’armee depuis le port de Pilespar amour de leur parti et du Duc. Son artillerie fut de seize canons de batterie, le tout equipé et paié, non à la faveur, mais à la crainte, qui leur vallois bien autant…
Encor que l’entreprise sur Salusses par le Duc de Savoie soit de ce departement, nous la garderons pour ne faire point à deux fois du succes : en arrestant ce chapitre aux affaires du dedans : premierement de Marseille, où au commencement d’Avril 1585. Daries second Consul, et le capitaine Boniface dit Cabanes, esmeurent le peuple; commencerent par le meurtre du general des finances Boniface frere du capitaine, qui lui presenta un paquet du grand Prieur, le premier coup de poignard donné comme le general baisoit ; de là en criant l’Eglise, ils mettét tous les Refformez qu’il peurent empoigner, prisonniers à la tour S.Jean ; le lendemain en tirent cinq, deux desquels s’apeloient Chiousse et l’Ambaleur ; ceux là aians refusé d’aller à la Messe furent trainez par les ruës, massacrez par la canaille, et leur corps jetez par-dessus les murailles à la veuë des autres prisoniers, à fin qu’ils pensassent à eux…
Un trompette du Prince de Condé raconta au bois de l’Espau au gentil homme de qui nous avons parlé, comment le Roi de Navarre sur un avis incertain que le Duc de Ioieuse s’en alloit à la Cour avoit passé le marais avec 250 chevaux et 400 harquebusiers à cheval, le compagnon à cette nouvelle prend le chemin de Fontenai ; d’où son maistre estoit desja parti et avance jusques à la Chastaignerais : là il le trouve montant à cheval pour s’en retourner, mais lui aiant fait part du profit de ses yeux et de ses oreilles, ce Prince reprend le chemin d’Eryaut, et n’est pas plustost à la plene que ses coureurs lui envoient des prisonniers de la cornette blanche : aiant apris par eux comment leur troupe et les gardes de leur Chef marchoient devant eux pour le logis d’Antoigni, voila Arambure depesché avec la troupe qu’il commandoit, et Cherboniere avec ce qu’il avoit d’harquebusiers à cheval, cela suivi d eloin alla fondre dans la bourgade sur le debrider, Aranbure dans le logis du Marquis de Reinel qu’il prit prisonnier…
Voila une bataille avec ses petites oyes ; si quelqu’un les trouve trop recherchees (après lui avoir dit qu’il qu’il n’y a rien qui porte leçon) je le renvoie à ceux qui amplissent leur livres de registres de procés, qui partaget les habillements d’un executé, marquent ce qu’à emporté le valet du bourreau, et autres choses de mesmes valeur. En suivant doc ce qui est du mestier, au lieu que nous avons marqué ailleurs l’usage des victoires, nous devons à la vérité l’abus de cette-ci. Ce fut un grand mescontentement à tous les capitaines Ress. Quand le Roi de Navare, n’aiant donné que le lendemain à voir son gain, mesprisant les villes de Xainctong et de Poictou, qui ne lui pouvoient manquer, ou selon le desir de plusieurs, d’aller tendre la main à son armee estrangere, qui dés lors aprochoit le riviere de Loire, il donna toutes ces paroles au vent, et sa victoire à l’amour ; car avec une troupe de cavalerie il perça toute la gascongne pour aller porter drapeaux…
La Confession catholique du Sieur de Sancy,
et déclaration des causes tant d’état que de religion qui l’ont mu à se remettre au giron de l’Eglise romaine
( vers 1597 mais publié pour la première fois en 1660)
Porteuse d’informations sur les oppositions religieuses dans la France du XVIe siècle situées en plus dans l’espace et le temps, cette satire est considérée comme un texte historique. Cette fois, elle cible trois personnages historiques importants: Nicolas de Harlay (seigneur de Sancy), huguenot converti au catholicisme, le cardinal-poète Davy du Perron (le « Grand Convertisseur » sans morale) et le roi converti (renégat) Henri IV. D’Aubigné devient Sancy et le protestant irréductible devient un protestant converti au catholicisme. Il emploie la première personne pour donner sa propre conception de la religion catholique.
Dans ce texte d’une grande virulence, d’Aubigné se moque du crédule Sancy le converti et du malin Du Perron le convertisseur jusqu’à les ridiculiser. Le converti jure de sa bouche et signe une profession de foi catholique élaborée après le Concile de Trente. Feignant dès lors d’être convaincu, il utilise des anecdotes pour discréditer les pratiques populaires des catholiques. Il prend soin bien sûr d’épargner tout se qui figure dans la profession de foi.
D’Aubigné va plus loin quand il retourne la profession de foi en idolâtrie. Il se permet de discréditer les pratiques catholiques les plus populaires qui ne sont pas cités dans la confession. La pratique du chapelet, imposé même au roi Henri IV en gage de la sincérité de sa conversion, n’y échappe pas. On sait que le Pape, qui lui avait envoyé de Rome des chapelets bénis, lui avait imposé les prières du chapelet tous les jours pour prouver qu’il est désormais un bon catholique. Néanmoins les miracles qui se multiplient dans les milieux catholiques ne laissent pas insensible Sancy (Aubigné). Il s’intéresse notamment à ceux qui ciblent les protestants..
Aux catholiques l’auteur reproche une religiosité fondé sur le sacré. Les manifestations extérieures représentées par l’image, les reliques, les pèlerinages ; le culte des morts avec son Purgatoire tout comme le chapelet et l’intercession des saints …sont des valeurs profanes portées par l’individu et la collectivité. Au voir et regarder catholique il oppose une foi intérieure individuelle protestante, faite de prière et d’écoute de Dieu dans un rapport entre l’individu et Dieu. Tout en restant fidèle au Roi et à l’Etat, il place la gloire de Dieu au dessus de tout avant celle des princes.
Dans cette confession Agrippa (Sancy) n’épargne pas les convertis, qu’ils considèrent motivés par des considérations politiques et de cupidité. Plus encore, il les accuse de commettre des excès et de faire plus de mal aux huguenots que les catholiques eux-mêmes. Pour lui le converti ne peut pas inspirer confiance, il n’est plus homme d’honneur et il finit toujours pas être méprisé et renvoyé.
Extraits :
Les faits Historiques qui se trouvent semés çà et là dans certains Livres de Satyres, sont ordinairement couverts d’un voile mysterieux, qui les rend fort difficiles à entendre. La Confession de Sancy est, sans contredit, un de ces Ouvrages mysterieux. C’est une Satyre fine et delicate, remplie d’allusions à des faits particuliers que l’Auteur désigne en passant, et qu’il ne raconte qu’à moitié, soit pour en faire mieux sentir le ridicule, soit soutenir le personnage qu’il prend dans toute la Piece. Ces faits ainsi menagés, composent presque tout le sel de cette Satyre. Mais en même temps, cette manière de raconter les choses, les deguisent si fort, qu’on a bien de la peine à les reconnoître ; ceux même qui en ont été les témoins oculaires ne sçauroient quelquefois les bien démêler.
Il n’est pourtant pas impossible d’éclaircir la plûpart des endroits de cette ingénieuse Satyre, si l’on veut s’y appliquer avec quelque soin. Cette sorte d’étude est sans doute pénible et dégoutante : car, combien de recherches, combien de conjectures inutiles n’hazarde-t’on point ? Il faut consulter tous les Historiens de ce temps-là, qui, l’esprit toujours tendu pour ne as laisser un fait, qui, pour être mêlé parmi quantité d’autres ne paroît pas d’abord être celui que vous cherchez. Un nom un peu déguisé ; quelque diversité dans la manière dont un fait est raconté, le font méconnaître. En un mot, c’est marcher à tâtons que de s’appliquer à débrouiller de semblables Livres…
Nicolas de Harlay, communément appelé Monsieur de Sancy, étoit de la seconde Branche de la Maison de Harley : les qualités qu’il prit jusqu’en 1594 furent celles de seigneur de Sancy, Baron de Maule et de Monglat, Conseiller du Roy en son Conseil d’Etat et Privé, Capitaine de cinquantes hommes d’armes de ses Ordonnances, et Premier Maître d’Hôtel de Sa Majesté : Voyez l’Epitre qui lui est en tête de la Traduction Françoise, de l’Histoire des Guerers d’ItalieFpar Guinchardin, imprimée en 1593. En cette année-là, Sancy, qui s’étoit jusque-là rendu fort agréable au Roy Henri le Grand, par plusieurs importants services que l’Histoire témoigne qu’il avoit rendus, tant au Roy son Prédécesseur, qu’à lui-même, et principalement par son humeur enjouée et souple au penchant qui faisoit le foible de ce Prince, s’attendoit bien de devenir….
On n’a que trop debattu en ce temps, si l’Etat est en l’Eglise, ou si l’Eglise est en l’Etat. De ceux qui veulent que l’Etat soit en l’Eglise, les uns disent, qu’elle ne seroit pas Universelle, si elle étoit circonscrite dans l’Etat, qui n’est pas universel. Les autres prenans mêmes choses pour exemples : Ne voyez-vous pas, disent-ils, comme l’Etat se soumet à l’Eglise, que ce brave Roy, après tant d’Armées défaites, tant de Sujets soumis, tant de Grands Princes, ses ennemis, abattus à ses pieds ; il a falu que lui, se prosternant aux pieds du Pape, ait reçû les gaulades en la Personne de M.le Convertisseur, et du Cardinal d’Ossat ? Lesquels deux furent couchés de ventre à bechenez, comme une paire de maquereaux sur le grille, depuis Miserere jusqu’à vitulos….
On fait bien fâcher les Huguenots, quand on leur montre que l’autorité de l’Eglise et les traditions nous appartiennent à reconnoître les Ecritures, encore que les Ecritures Canoniques ne nous apprennent pas à reconnoître ni l’autirité de l’Eglise Romaine, ni les traditions. De fait, il se faut tenir aux Livres de l’Eglise, et non Canoniques, autrement les Hérétiques diffameroient nos affaires avec leurs passages de Bible. Mais pour avoir plutôt fait, je serois d’avis, qu’on ne comptât point pour traditions ces anciens Docteurs des six premiers siécles, pendant lesquels l’Eglise ne s’étoit pas encore annoblie : ces beaux Temples n’étoient point bâtis : les Papes de Rome tenoient leur siege dans des cavernes, et pour dire en un mot, les Papes pouvoient passer comme Ministres des premiers troubles, et l’Eglise sentoi la Huguenotte, ou, pour mieux dire, le fagot….
A faute d’argumens, nos Docteurs prouvent la plûpart des points qui sont en controverse par gaillardes similitudes et comparaisons ; et voici comment nous prouvons l’intercession des Saints et des Saintes. Toutes Personnes ne vont pas indifféremment pretendre leur Requête au Roy, mais par Médiateurs, comme Princes, Princesses, Conseillers d’Etat et Maîtres des Requêtes. Ergo, il faut que les Saints et Saintes passent les affaires du Cile, comme nous faisons celles de la Cour. J’entreprendois bien de prouver par même comparaison, que Dieu ne se même guéres des affaires du monde, pouce que nous faisons passer au Roy toutes les affaires comme il nous plaît : de la plûpart, il n’en sent que le vent. Il est vrai que cet Hérétique de Rosny lui veut faire prendre un autre chemin, et veut faire du Finacier et de l’homme de bien sensemble, contre les préceptes que deux choses contraires ne peuvent subsister en un même sujet. J’espere que l’un d’eux succombera par l’aide de ma conversion et de l’intercession des Saint…
Puisque nous avons constitué le Purgatoire à la Cour, Galands hommes, si faut-il trouver quelque lieu, où nous confessons que soit le Purgatoire, sans l’aller le chercher jusques au Trou S. Patrice, selon que Henry Estienne en discourt l’Apologie d’Herodote. Je trouve ce qu’il en dit bien agréable ; mais il n’est pas approuvé de la Sorbonne. Si je voulais traiter cette matiere en Théologien, je me mettois en grande peine. J’ai consulté M. le Convertisseur, qui se prit à rire de ma curiosité. Je lui demandai où il étoit parlé du Purgatoire en la Sainte Ecriture ; il ne m’allégua que des Apocryphes, et des Passages fort douteux. Je m’enquis des Peres, il me dit que S. Augustin en parloit, Livre 12 de la Genese ; sur l’Evangile de S. Jean, Traité 47 : au Livre de la Cité de Dieu, Chapitre 8, et en plusieurs autres endroits ; où je résolus ne faire jamais plus le Théologien, en matiere de Purgatoire. J’en ai pourtant trouvé un en ma Théologie, et je baille à deviner à toute la Sorbonne où il est : je demande aussi où est le Tiers-Parti, duquel on a tant parlé en France, et la crainte duquel a frappé un garnd coup à la conversion du Roy, que celle du Purgatoire…
Le Printemps
(de 1570 à sa mort)
Avant d’écrire Les Tragiques, récit des horreurs de la guerre civile religieuse, d’Aubigné est dans sa jeunesse un chantre de l’amour comme il apparaît dans Le Printemps. Œuvre lyrique qui nous fait découvrir un Agrippa amoureux, elle est certainement écrite dans le feu de la passion. Composée de trois parties : L’Hécatombe à Diane, Stances et Odes, c’est un mélange d’allégories, de métaphores, de similitudes et comparaisons qui annoncent l’âge romantique. Comme pour rappeler le climat de guerre qui prévaut, on retrouve comme dans Les Tragiques le meurtre et le sacrifice avec images du sang, du feu et du fer. L’auteur cherche à révéler une vérité cachée, réclame justice et en appelle à la colère divine pour punir les persécuteurs. Le Printemps, dont l’écriture s’étale jusqu’à la fin de sa vie ( plus d’un demi siècle), n’est pas publié de son vivant. Il faudra attendre 1874 pour voir ce texte enfin imprimé.
L’Hécatombe à Diane :
Recueil d’une centaine de sonnets amoureux, il est dédié à Diane Salviati dont il s’est épris. Diane n’est autre que la nièce de la Cassandre de Ronsard (Les Amours de Cassandre), dont il est un fervent admirateur. D’Aubigné rencontre cette brune italienne, plus riche et un peu plus âgée que lui, vraisemblablement durant l’été 1570. Il l’aime tellement qu’il se sent devenir un dieu par l’amour de Diane :
« …Ton feu divin brûla mon essence mortelle,
Accourez au secours de ma mort violente,
Amants, nochers experts en la peine où je suis,
Vous qui avez suivi la route que je suis
Et d’amour éprouvé les flots et la tourmente.
Le pilote qui voit une nef périssante,
En l’amoureuse mer remarquant les ennuis
Qu’autrefois il risqua, tremble et lui est avis
Que d’une telle fin il ne perd que l’attente.
Ne venez point ici en espoir de pillage :
Vous ne pouvez tirer profit de mon naufrage,
Je n’ai que des soupirs, de l’espoir et des pleurs.
Pour avoir mes soupirs, les vents lèvent les armes.
Pour l’air sont mes espoirs volagers et menteurs,
La mer me fait périr pour s’enfler de mes larmes…
Au tribunal d’amour, après mon dernier jour,
Mon coeur sera porté diffamé de brûlures,
Il sera exposé, on verra ses blessures,
Pour connaître qui fit un si étrange tour,
A la face et aux yeux de la Céleste Cour
Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
Il saignera sur toi, et complaignant d’injures
Il demandera justice au juge aveugle Amour :
Tu diras : C’est Vénus qui l’a fait par ses ruses,
Ou bien Amour, son fils : en vain telles excuses !
N’accuse point Vénus de ses mortels brandons,
Car tu les as fournis de mèches et flammèches,
Et pour les coups de trait qu’on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flèches…
Bien que la guerre soit âpre, fière et cruelle
Et qu’un douteux combat dérobe la douceur,
Que de deux camps mêlés l’une et l’autre fureur
Perde son espérance, et puis la renouvelle,
Enfin, lors que le champ par les plombs d’une grêle
Fume d’âmes en haut, ensanglanté d’horreur,
Le soldat déconfit s’humilie au vainqueur,
Forçant à jointes mains une rage mortelle.
Je suis porté par terre, et ta douce beauté
Ne me peut faire croire en toi la cruauté
Que je sens au frapper de ta force ennemie :
Quand je te crie merci, je me mets à raison,
Tu ne veux me tuer, ni m’ôter de prison
Ni prendre ma rançon, ni me donner la vie.
Dans le parc de Thalcy, j’ai dressé deux plançons
Sur qui le temps faucheur ni l’ennuyeuse estorse
Des filles de la nuit jamais n’aura de force,
Et non plus que mes vers n’éteindra leurs renoms.
J’ai engravé dessus deux chiffres nourrissons
D’une ferme union qui, avec leur écorce,
Prend croissance et vigueur, et avec eux s’efforce
D’accroître l’amitié comme croissent les noms.
Croissez, arbres heureux, arbres en qui j’ai mis
Ces noms, et mon serment, et mon amour promis.
Auprès de mon serment, je mets cette prière :
» Vous, nymphes qui mouillez leurs pieds si doucement,
Accroissez ses rameaux comme croît ma misère,
Faites croître ses noms ainsi que mon tourment. « …
Diane, ta coutume est de tout déchirer,
Enflammer, débriser, ruiner, mettre en pièces,
Entreprises, desseins, espérances, finesses,
Changeant en désespoir ce qui fait espérer.
Tu vois fuir mon heur, mon ardeur empirer,
Tu m’as sevré du lait, du miel de tes caresses,
Tu resondes les coups dont le coeur tu me blesses,
Et n’as autre plaisir qu’à me faire endurer.
Tu fais brûler mes vers lors que je t’idolâtre,
Tu leur fais avoir part à mon plus grand désastre :
» Va au feu, mon mignon, et non pas à la mort,
Tu es égal à moi, et seras tel par elle « .
Diane repens-toi, pense que tu as tort
Donner la mort à ceux qui te font immortelle….
Je brûle avec mon âme et mon sang rougissant
Cent amoureux sonnets donnés pour mon martyre,
Si peu de mes langueurs qu’il m’est permis d’écrire
Soupirant un Hécate, et mon mal gémissant.
Pour ces justes raisons, j’ai observé les cent :
A moins de cent taureaux on ne fait cesser l’ire
De Diane en courroux, et Diane retire
Cent ans hors de l’enfer les corps sans monument.
Mais quoi ? puis-je connaître au creux de mes hosties,
A leurs boyaux fumants, à leurs rouges parties
Ou l’ire, ou la pitié de ma divinité ?
Ma vie est à sa vie, et mon âme à la sienne,
Mon coeur souffre en son coeur. La Tauroscytienne
Eût son désir de sang de mon sang contenté…
Nous ferons, ma Diane, un jardin fructueux :
J’en serai laboureur, vous dame et gardienne.
Vous donnerez le champ, je fournirai de peine,
Afin que son honneur soit commun à nous deux.
Les fleurs dont ce parterre éjouira nos yeux
Seront vers florissants, leurs sujets sont la graine,
Mes yeux l’arroseront et seront sa fontaine
Il aura pour zéphyrs mes soupirs amoureux.
Vous y verrez mêlés mille beautés écloses,
Soucis, oeillets et lys, sans épines les roses,
Ancolie et pensée, et pourrez y choisir
Fruits sucrés de durée, après des fleurs d’attente,
Et puis nous partirons à votre choix la rente :
A moi toute la peine, et à vous le plaisir…
Oui, mais ainsi qu’on voit en la guerre civile
Les débats des plus grands, du faible et du vainqueur
De leur douteux combat laisser tout le malheur
Au corps mort du pays, aux cendres d’une ville,
Je suis le champ sanglant où la fureur hostile
Vomit le meurtre rouge, et la scythique horreur
Qui saccage le sang, richesse de mon coeur,
Et en se débattant font leur terre stérile.
Amour, fortune, hélas ! apaisez tant de traits,
Et touchez dans la main d’une amiable paix :
Je suis celui pour qui vous faites tant la guerre.
Assiste, amour, toujours à mon cruel tourment !
Fortune, apaise-toi d’un heureux changement,
Ou vous n’aurez bientôt ni dispute, ni terre…
Si vous voyiez mon coeur ainsi que mon visage,
Vous le verriez sanglant, transpercé mille fois,
Tout brûlé, crevassé, vous seriez sans ma voix
Forcée à me pleurer, et briser votre rage.
Si ces maux n’apaisaient encor votre courage
Vous feriez, ma Diane, ainsi comme nos rois,
Voyant votre portrait souffrir les mêmes lois
Que fait votre sujet qui porte votre image.
Vous ne jetez brandon, ni dard, ni coup, ni trait,
Qui n’ait avant mon coeur percé votre portrait.
C’est ainsi qu’on a vu en la guerre civile
Le prince foudroyant d’un outrageux canon
La place qui portait ses armes et son nom,
Détruire son honneur pour ruiner sa ville…
Sort inique et cruel ! le triste laboureur
Qui s’est arné le dos à suivre sa charrue,
Qui sans regret semant la semence menue
Prodigua de son temps l’inutile sueur,
Car un hiver trop long étouffa son labeur,
Lui dérobant le ciel par l’épais d’une nue,
Mille corbeaux pillards saccagent à sa vue
L’aspic demi pourri, demi sec, demi mort.
Un été pluvieux, un automne de glace
Font les fleurs, et les fruits joncher l’humide place.
A ! services perdus ! A ! vous, promesses vaines !
A ! espoir avorté, inutiles sueurs !
A ! mon temps consommé en glaces et en pleurs.
Salaire de mon sang, et loyer de mes peines !…
Soupirs épars, sanglots en l’air perdus,
Témoins piteux des douleurs de ma gêne,
Regrets tranchants avortés de ma peine,
Et vous, mes yeux, en mes larmes fondus,
Désirs tremblants, mes pensers éperdus,
Plaisirs trompés d’une espérance vaine,
Tous les tressauts qu’à ma mort inhumaine
Mes sens lassés à la fin ont rendus,
Cieux qui sonnez après moi mes complaintes,
Mille langueurs de mille morts éteintes,
Faites sentir à Diane le tort
Qu’elle me tient, de son heur ennemie,
Quand elle cherche en ma perte sa vie
Et que je trouve en sa beauté la mort !…
Autres extraits:
Diane, aucunes fois la raison me visite
Pour cueillir, sans la mort, l’immortelle beauté,
J’ai des autels fumants comme les autres dieux,
Venge à coups de marteaux son impuissant courroux,
Brûlant le coeur, le corps, hostie à ton courroux,
Quand mon esprit jadis sujet à ta colère
Je fus le serf d’un oeil plus beau que nul autre oeil,
A celles-là qui ont aimé légèrement,
Que de vivre cent ans à goûter les remords
Assiégeant des trois Sœurs infernales le lit,
Verra le triste amant, les restes misérables
Qui pour un autre corps à son corps adversaire
Aidez-moi, dites-moi nouvelles de mon âme,
Pourquoi mon oeil ne voit comme il voyait ta grâce,
Le corps vola au ciel quand l’âme y est allée;
A jamais je serai un corps sans toi, mon âme,
En ce qui est hideux je cherche mon confort :
Fuyez de moi, plaisirs, heurs, espérance et vie,
Venez, maux et malheurs et désespoir et mort !
Les forêts sans chemin, les chênes périssant,
Mais je hais les forêts de leurs feuilles parées,
Les séjours fréquentés, les chemins blanchissants.
De qui les os mourants percent les vieilles peaux :
Je meurs des oiseaux gais volants à tire d’ailes,
Des courses de poulains et des sauts de chevreaux !
Un massacre de cerf, quand j’oy les cris des faons ;
Mais mon âme se meurt de dépit asséchée,
Voyant la biche folle aux sauts de ses enfants.
À fouler le feuillage étendu par l’effort
D’automne, sans espoir leur couleur orangée
Me donne pour plaisir l’image de la mort.
M’empêche de fuir et de sortir dehors
Que de l’air courroucé une guerre cruelle
Ainsi comme l’esprit, m’emprisonne le corps ! Jamais le clair soleil ne rayonne ma tête,
Que le ciel impétueux me refuse son œil,
S’il pleut qu’avec la pluie il crève de tempête,
Avare du beau temps et jaloux du soleil. Mon être soit hiver et les saisons troublées,
De mes afflictions se sente l’univers,
Et l’oubli ôte encore à mes peines doublées
L’usage de mon luth et celui de mes vers…Liberté douce et gracieuse,
Des petits animaux le trésor,
Ah liberté, combien es-tu plus précieuse
Ni que les perles ni que l’or ! Suivant par les lois à la chasse
Les escureux sautans, moi qui estoit captif,
Envieux de leur bien, leur malheur je prochasse,
Et un pris un entier et vif. J’en fis présent à ma mignonne
Qui lui tressa de soie un cordon pour prison ;
Mais les frians apas du sucre qu’on luy donne
Luy sont plus mortelz que poison. Les mains de neige qui le lient,
Les attraians regars qui le vont decepvant
Plustost obstinement à la mort le convient
Qu’estre prisonnier et vivant.
Las ! commant ne suis-je semblable
Au petit escurieu qui estant arresté
Meurt de regretz sans fin et n’a si agréable
Sa vie que sa liberté ?
Ô douce fin de triste vie
De ce cueur qui choisist la mort pour les malheureux,
Qui pour les surmonter sacrifie sa vie
Au regret des champs et des fleurs…
Usons ici le fiel de nos fâcheuses vies,
Par l’écho des forêts répondront à nos voix.
Ces étangs noirs remplis d’aspics, non de poissons,
Les cerfs craintifs, les ours et lézardes sauvages
Trancheront leur repos pour ouïr mes chansons.
Un palais, forcenant léger de lieu en lieu,
Le malheur me dévore, et ainsi m’extermine
Le brandon de l’amour, l’impitoyable dieu.
Ne guérissez-vous point la plaie qui me nuit,
Ne savez-vous remède aux amoureuses rages,
De tant de belles fleurs que la terre produit ?
Ou soyez médecins de ma sanglante peine,
Ou faites les témoins de ma perte vos yeux.
Ne soit marqué le pied d’un délicat plaisir,
Sinon lorsqu’il faudra que consommé je meure,
Satisfait du plus beau de mon triste désir. Le lieu de mon repos est une chambre peinte
De mil os blanchissants et de têtes de morts,
Où ma joie est plus tôt de son objet éteinte :
Un oubli gracieux ne la pousse dehors. Sortent de là tous ceux qui ont encore envie
De semer et chercher quelque contentement,
Viennent ceux qui voudront me ressembler de vie
Pourvu que l’amour soit cause de leur tourment. Je mire en adorant dans une anatomie
Le portrait de Diane entre les os, afin
Que voyant sa beauté ma fortune ennemie
L’environne partout de ma cruelle fin.
Voilà comment ma joie est de regret suivie,
Comment de mon travail ma mort seule a repos…
Odes
Extraits:
Constitué de poèmes d’inspiration diverse, certains sont improvisés au milieu de la nuit alors que l’auteur est en proie à une crise d’insomnie. Une insomnie causée par le désir d’écrire. On retrouve dans les Odes un Aubigné moins tragique, qui s’ouvre sur le monde et autrui. L’amour pour Diane n’est plus le seul à être évoqué. Tout comme le nombre et la qualité des destinataires qu’il interpelle, les sentiments sont diverses. On y trouve l’amitié qui peut lier deux hommes, l’amour des bergers, un hymne à l’amour naissant, l’amour mythologique, l’appel à la paix…La souffrance d’Aubigné est devenue douce et acceptée comme telle, comme s’il avait retrouvé la joie créatrice. Mais la vision apocalyptique resurgit, alors que la terre et le ciel se rejoignent pour laisser entrevoir un futur d’horreur.
Et que vous puijfiei au contraire,
Madame, que voftre;_oeil délivre …
Les aventures du baron de Foeneste (1617 à 1630)
D’Aubigné écrit les trois premiers livres de cette satire, tout à la fois sociale et religieuse, à Paris alors que le roi Henri IV était mort depuis six ans. Il l’achève par un quatrième jugé scandaleux à Genève où il s’est exilé. Il écrit plus librement sous la protection d’une république calviniste. Le comique et le burlesque dominent dans cette œuvre où alternent les dialogues et les récits de quatre personnages.
Enay un huguenot gentilhomme provincial (qui représente l’auteur) et Beaujeu sont d’un même côté. De l’autre se trouvent Faeneste, un homme de cour catholique aventurier et galant mais non moins ignorant et fanfaron, associé à son valet de chambre. Ils ne sont pas du tout du même bord. L’auteur oppose l’être, représenté par les premiers, et le paraître que symbolisent les seconds. Il s’attaque aux mœurs et intrigues de la cour, aux dogmes et pratiques catholiques ainsi qu’aux courtisans qui ne se soucient que de paraître.
D’Aubigné met le doigt sur un mal profond de la société française d’alors, où la reine Marie de Médicis gouvernait au nom de son fils Louis XIII (trop jeune). L’être s’efface au profit de l’envie de paraître, prélude à une société des vanités. Par l’observation méticuleuse et exacte des faits de société dont il dresse un tableau, il est un précurseur du roman réaliste. Par ses anecdotes champêtres il l’est également pour le genre burlesque en vogue au XVIIIe siècle.
Extraits :
Faeneste : Bon yor, lou mien.
Enay : Et à vous Monsieur
Faeneste : Don benez-bous ensi ?
Enay : Je ne vien pas de loin ; je me pourmène auteur de ce clos.
Feaneste : Comment Diavle,clos ! Il y a un quart d’hure que je suis emvarracé le long de ces murailles, et bous le nommez pas un parc !
Enay : Comment voulez-vous que j’appellasse celui de Monceaux, ou de Madric ?
Faeneste : Encores ne coustera-il rien de nommer les choses pour noms honoravles.
Enay : Il serviroit encore moins qu’il ne cousyeroit.
Faeneste : Est de qui est ceci ?
Enay : C’est à moi, pour vostre service.
Faeneste : A bous ! (à part) J’ay failli à faire unr grande cagade, car, le boyant sans fraise et sans pennache, je lui allois demander le chemin…
Enay : Voilà bien des affaires ; mais puis que vous me les contez ainsi privément, vous ne trouverez pas mauvais que je vous demande pourquoi vous vous donnez tant de peines ?
Faeneste : Pour parestre.
Enay : Est-il que ce gros lodier qui vous monte autour des reins ne vous fasse pas point sentir de gravelle ?
Faeneste : Qu’appelez-bous loudier ? Bous autres abez d’estranges mouts pour francimantiser, aux bilayes ! Or, grabelle ounon grabelle, si faut-il pourter en etay cette emvourure ; puch après, il bous faut des souliers à cricq ou à pont levedis, si bous boulez, escoulez jusques à la semelle.
Enay : Et en hyver ?
Faeneste : Sachez que dux ans abant la mort du fu Roy, il lui eschappa de louër S.Michel de ses diligences, et d’estre tousjours votté : deslors les courtisans prindeent la leçon de unes vottes, la chair en dehors, le talon fort haussé, abec certaines pantoufles fort haussées encores ; le surpied de l’esperon fort large, et les soulettes qui enbeloppent le dessous de la pantoufle…
Enay : Et quels fruits de tant de fleurs ?
Faeneste : C’est pour parestre. Il y a après la diversité des rotandes, à douvle rang de dentele, ou vien fraises à confusion…
Faeneste : Pour moi, ye deffendrai tout jusqu’au vatesme des cloches, et bous convertirai, si bous en abez la boulantai. Contentez bous que ma prière parest pour prière, comme l’Abe Maria.
Enay : Je voi bien à ce que vous dites que ceux que vous convertissez le veulent déjà être.
Faeneste : Oy da. Y’ai aidai plus que nul autre à combertir lou queitaine Mazilière, du regiment de Nabarre. On lui fit du vien, il alla à la messe, et puch il alloit chez les grands pour faire parestre sa conbersion….
Enay : Voilà un des bons mots de ce temps : vous me voulez convertir joyeusement.
Faeneste: Il est de retour des bostes, et m’a reboié ce chapelet que je lui abois presté pour parestre cathoulique ; car bos debotions de bous autres sont inbisibles, et vostre Eglise inbisible.
Enay : Que n’achevez-vous de nous reprocher, comme les sauvages, que nostre Dieu est invisible.
Faeneste : Nous autres boulons tout bisivle.
Enay : C’est pourquoi entre les reliques de saint Front, on trouva dans une petite phiole un esternument du Saint-Esprit.
Faeneste : Ce sont des inbentions de bous autres, qui abez fait imprimer un imbentaire des reliques, où sainct Paul a dix-huict testes, sainct Pierre seize corps, sainct Antoine quarante vras….
Enay : Nous avons au commencement protesté de bourdes vrayes : nous n’avons rien dit en tout notre discours qui ne soit arrivé ; seulement avons-nous attribué à un même ce qui appartient à plusieurs. Le profit de nostre discours est qu’il y a six choses desquelles il est dangereux de prendre le paroistre pour l’estre : le gain, la volupté, l’amitié, l’honneur, le service du roi ou de la patrie, et la religion. Vous perdites vostre argent quand vous pensiez gagner ; vos voluptez de Paris vous ont donné des maladies ; vostre ami vous a fait fouetter ; l’honneur battre et mepriser. Les deux derniers points sont de plus haute consequence, aussi en est la tromperie plus dangereuse ; car ceux qui font paroistre deserier le bien public le desirent, mais pour soi. Et à ce propos il fut fait à Loundun quelques couplets sur les zelateurs du bien public ; quelqu’un y donna cette conclusion :
Enfin chacun deteste
Les guerres, et proteste
Ne vouloir que le bien :
Chacun au bien aspire,
Chacun ce bien desire,
Et le desire sien….
Faeneste : Bous me faittes grand desprit…Que ne dites-bous ces flambeaux ? Ils sont de von aryent, et trop vien faicts pour bilage.
Enay : Allons, Monsieur je ne vous ai pas demandé si vous voulez un mattras : vous estes trop de la cour pour vouloir autre chose…
Enay : Que cherches-tu, mon fils ?
Cherbonnière : Quelques espousssettes, un miroir, une chaufferette, une manche de cuillère, du bran de froment.
Enay : Mon ami, tu trouyeras tout ceans ; mais à quoi bon cela ?
Cherbonnière : C’est à trousser la moustache, à nettoier le cuir : nostre homme est propre comme chandelier de bois aux choses qui paroissent ; pour le reste… ! Je lui est vu mettre tout son argent en une fraise à grand’ dentelle blanchie de Frandre,..
Vie à ses enfants (posthume 1728-1729) :
Mémoires autobiographique d’Aubigné, ce récit est écrit un an avant sa mort à l’adresse de ses enfants. En mettant un petit grain de vanité, il dresse le bilan de sa vie et les invite à profiter de son expérience.
Extraits :
MES ENFANS,
Vous avez dans l’Antiquité où puiser des enseignements et des exemples dans la vies des Empereurs et des grands Hommes, pour apprendre comme on se peut démêler des attaques des Sujets desobéissans et de ses Ennemis particuliers. Vous y voyez comme ils ont remédié aux soulèvements des uns et repoussé les efforts des autres :
Mais vous ne vous y instruisez point de la conduite qu’il faut tenir dans une vie privée et commune, et cette troisième sorte de connoissance requerant plus de dextérité que les deux premiéres, vous avez plus besoin d’y être instruits, puisque vous devez plutôt vous conduire selon ceux d’une mediocre condition qu’en imitant les plus grands, n’ayant à luter qu’avec vous Pareils où il faut plus d’adresse que de force, ce manque de souplesse, ou un trop haut vol, vous nuit souvent auprès des Princes. Henry IV n’aimoit pas que les siens s’apliquassent avidement à la lecture des vies des Empereurs, et je me souviens qu’ayany trouvé un jour Neufvy fort attaché à lire Tacite, il lui conseilla de quitter cette lecture, et de ne lire que les histoires de ses Pareils, craignant que ce courage déjà élevé n’en devînt encore plus audacieux. J’en fais de même à votre endroit , pour répondre à votre juste requête. Voici donc le discours de ma vie en sa primauté paternelle, lequel ne m’a point contraint de cacher ce qui dans l’Histoire de France eût été honteux et malséant ; de maniére que ne pouvant ni tirer vanité de mes belles actions, ni rougir de mes fautes, envers vous, je vais vous raconter ce que j’ai fait de bon et de mauvais, comme si je je vous entretenois encore sur mes genoux, desirant que mes belles et honnorables actions vous donnent envie d’en faire pareilles, et que vous conceviez en même tems de l’horreur pour mes fautes que je vous démontre à découvert, afin que vous évitiez d’en commettre de semblables…
Mon Fermier, qui me vint voir, me reconnut bien pour Théodore-Agrippa d’Aubigné, à la cictrice qui m’étoit restée d’un charbon au coin du front, lorsque je fus atteint de la peste à la grande contagion d’Orléans : mais le pendart, me voyant si mal et sans espérance de vie, n’en fit pas semblant, et me traita aussi bien que les autres d’infame imposteur, pour s’exempter de me payer trois années d’arrérages de son bail qu’il me devoit…. Dans ce pitoyable état j’eus le courage de me présenter devant les Juges, qui me permirent de plaider moi-même ma cause ; ce que je fis en termes si pathétiques , et j’exposai ma misére d’une maniére si touchante, que mes Juges justement irritez contre mes Parties, s’étant levez de leurs places, s’écrièrent tous d’une voix qu’il n’y avoit que le Fils du feu Sieur d’Aubigné qui pût parler ainsi, et condamnérent mes Adversaires à me demander pardon, et à me faire raison de mon bien.
M’étant donc remis, u moyen de ce jugement, en possession de mon médiocre héritage, je devins incontinent amoureux de Diane Salvati, fille aînée du Sieur de Talcy. Cet amour me mit en tête la Poësie Françoise, et ce fut alors que pour plaire à ma Maitresse, je composai ce que l’on a depuis appellé le Printemps d’Aubigné…
Citations de Theodore d’Agrippa d’Aubigné :
- Chacun au bien aspire, chacun ce bien désire, et le désire sien.
- Nos désirs sont d’amour la dévorante braise,
- Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs.
- Bienheureux ceux-là qui dépouilleront les bestialités!
- Il ne sort des tyrans et de leurs mains impures – Qu’ordures ni que sang.
- Qui a péché sans fin souffre sans fin aussi.
- Le riche a la vengeance, et le pauvre a la mort.
- Estre craint par amour et non aimé par crainte…
- Une rose d’automne est plus qu’une autre exquise.
- Satan fut son conseil, l’enfer son espérance.
- Retire-toi dans toi, parais moins, et sois plus.
- Quand la vérité met le poignard à la gorge, il faut baiser sa main blanche, quoique tachée de notre sang
- Mais le vice n’a point pour mère la science, – Et la vertu n’est pas fille de l’ignorance.
- L’homme est en proie à l’homme, un loup à son pareil.
- Combien des maux passés douce est la souvenance.
- Cet épineux fardeau qu’on nomme vérité.
- Car l’espoir des vaincus est de n’espérer point.