Saint Louis raconté par Jean de Joinville
10 Mai 2013 | Publié par dans Histoire de la littérature française | Litterature médiévaleJean (Johan), sire de Joinville (1224 à 1225 – 1317):
Biographie :
Connu surtout pour être le biographe du roi Louis IX, Jean de Joinville naît d’une famille de la noblesse champenoise entre 1224 et 1225. Il est le neuvième seigneur de Joinville. Il n’a que huit ans quand son père Simon de Joinville décède. Il reste seul avec sa mère Béatrice d’Auxonne (fille d’Etienne II comte de Bourgogne), avant d’être admis à la cour de Thibaut IV (comte de Champagne et célèbre trouvère). Il y reçoit une éducation et une instruction dignes des jeunes nobles de l’époque, courtoise et chevaleresque. Il hérite de son père le titre de sénéchal près de ce même comte. Il participe en 1248 à la septième croisade, plus pour ne pas faillir à la tradition familiale que par conviction religieuse. C’est là qu’il aurait rencontré pour la première fois Louis IX (initiateur de la croisade et futur Saint Louis), événement qui va changer sa vie puisqu’il en devient l’ami et le conseiller. Une relation qui se renforce avec leur captivité en Orient, quand ils sont faits prisonniers lors de la défaite de Damiette (Egypte) en 1250. La compagnie du roi le transforme radicalement jusqu’à devenir crédule et superstitieux, lui qui aimait le bon vin et s’adonnait aux vices. C’est lui qui négocie avec les templiers la rançon exigée pour leur libération en 1252. De retour à Paris il est souvent présent à la cour assis à côté du roi, en homme désormais pieux et plus admirateur sincère que courtisan du monarque. Il y tient une place privilégiée comme confident, à tel point que c’est lui qui est chargé de négocier le mariage de la fille de saint Louis (Isabelle) avec le tout jeune Thibaut V (roi de Navarre). Pourtant Joinville refuse de prendre part avec Louis IX à la huitième croisade qu’il désapprouve. Une croisade qui allait être d’ailleurs fatale au roi, puisqu’il y laissera sa vie (25 août 1270 à Tunis). Il s’expliquera en écrivant « Je leur disais ainsi que, si je voulais œuvre selon la volonté de Dieu, je resterais ici pour aider mon peuple et le défendre ; si j’exposais ma personne aux hasards du pèlerinage de la croix, quand je voyais bien clairement que ce serait au mal et au détriment de mes hommes, j’en susciterais la colère de Dieu, qui exposa son corps pour sauver son peuple. » En 1303 il entreprend d’écrire ses mémoires pour répondre aux supplications de Jeanne de Navarre, reine de France, de faire un livre des saintes paroles et des bons faits du Saint roi Louis. Il le fait peut-être un peu par rapport au roi Philippe le Bel, pour lequel il éprouve de la répugnance. Il ne partage point ses pratiques politiques, et lui reproche de s’être éloigné de la ligne de conduite de son prédécesseur Louis IX. La rêne meurt le 2 avril 1305, quatre ans avant que Joinville ne finisse la rédaction de l’ouvrage (1309). Celui-ci est alors dédicacé à son fils Louis X de France (ou Louis le Hutin), futur roi de France. Lorsque la papauté mène une enquête pour la canonisation de Louis IX (prononcée par Boniface VIII), c’est à lui que les enquêteurs font appel en tant que témoin privilégié de sa vie, confident et conseiller. Il rapporte notamment que l’écuyer du riche homme sire Gragonès est tombé du navire pendant le retour vers les côtes de Provence. Il ne lui restait qu’à prier la Vierge Marie pour son salut. Un miracle selon Joinville se produisit pour son sauvetage. Sans rien tenter, le naufragé s’est retrouvé dans la galère royale qui revenait de la septième croisade. C’est grâce à ce témoignage que Louis IX devient Saint Louis en 1297.
Jean de Joinville meurt le 24 décembre 1317, quarante sept ans après Saint Louis. Pour avoir vécu 93 ans, ce qui exceptionnel pour l’époque, il a vu régner pas moins de six rois : Louis VIII, Louis IX, Philippe III, Philippe IV, Louis X et Philippe V. Son corps repose dans la chapelle Saint-Joseph de l’église Saint-Laurent du château de Joinville.
Œuvres de Jean de Joinville:
Mémoires du sire de Joinville ou Histoires des faits de notre saint roi Louis:
L’auteur entreprend d’écrire ses mémoires en 1305 (1305 à 1309), en utilisant une langue qu’on peut situer entre le Lorrain et celui d’Ile de France, comme le ferait un chroniqueur. Écrite dans un style simple, l’œuvre est considérée comme l’une des plus anciennes en prose française. Elle est le travail d’une personne qui a une connaissance quasi parfaite du monarque, dont elle est témoin de son règne et de la vie quotidienne dans la cour. Si le but est clair dès le départ, faire du roi aux vertus incontestées un modèle et un exemple pour ses successeurs, Joinville fait preuve d’objectivité puisqu’il n’est pas seulement élogieux. La sincérité dans le compte rendu des faits, donne à l’œuvre une valeur historique incontestable. Le récit est tellement objectif que l’on dit que quiconque n’a pas lu Joinville ne connait ni Saint Louis ni le XIIIe siècle. Ces mémoires font de Louis IX le roi de France le plus connu, et enrichissent la langue française d’un bon nombre de tournures particulières qui seront utilisées par toutes les générations à venir.
L’auteur commence son récit par une biographie de Louis IX. Il rapporte ses saintes paroles, et le présente comme très pieux, généreux, sobre, juste et proche de son peuple. Les bons enseignements du saint roi occupent une bonne place. Selon lui le roi se comportait comme un prédicateur, puisque ses paroles porteuses de messages moraux et religieux étaient destinées à renforcer la foi de ses interlocuteurs. Il apporte également un éclairage sur l’exercice du pouvoir et les devoirs de la royauté, tels qu’il les concevait et les exauçait.
Les faits rapportés n’épargnent ni le roi ni le clergé, quand il considère qu’ils ont failli. Il reproche entre autres au roi son insensibilité à l’égard de la reine, ses colères, ses réactions disproportionnées lors de deuils, sa foi enflammée et à la limite du fanatisme…
Il nous raconte dans une seconde partie bien plus longue les faits d’armes du roi, puisqu’il était aussi guerrier. La 7eme croisade d’abord à laquelle il a participée, mais sans jamais faire part de ses motivations. On sait qu’elles n’étaient pas d’ordre religieux puisqu’à l’époque Joinville n’était pas encore porté sur la piété, et c’est peut-être cela qui le gênait d’en parler. Le séjour en Egypte (croisade), les hauts faits du roi et de ses chevaliers et sa captivité avec le souverain occupent une bonne partie du récit. Il n’omet pas de relever le courage de la reine pendant tout ce temps, qui a assumé la responsabilité de la poursuite de l’expédition au printemps 1250.
La 8eme croisade à laquelle il n’a pas prit part, et au cours de laquelle Louis IX est décédé, nous est rapportée grâce au concours de Pierre comte d’Alençon et 5eme fils du roi. Ces deux expéditions et surtout sa mort pour la chrétienté, ont élevé son prestige que les capétiens ont voulu exploiter à travers l’œuvre de Joinville. Notons enfin que Jean de Joinville fait également une part belle à sa personne dans son récit. Il nous fait part de ses combats en Orient et ses blessures, ses actions, ses contributions…nous renseignant ainsi sur les manières de penser, de sentir et d’être d’un homme de cette époque.
Voici un extrait de la dédicace de Joinville en remettant le livre au roi Louis X : « Au nom de Dieu tout puissant, moi Jean, sire de Joinville, sénéchal de Champagne, fais écrire la vie de notre saint roi Louis IX, ce que j’ai vu et entendu pendant l’espace de six ans au cours desquels je me suis trouvé en sa compagnie au pèlerinage d’outre-mer et après notre retour. Et avant de vous raconter ses hauts faits et sa conduite de chevalier, je vous raconterai ce que j’ai vu et entendu de ses saintes paroles et de ses bons enseignements, afin qu’on puisse les trouver les uns après les autres pour l’édification de ceux qui les entendront… »
Il est clair compte tenu du titre réel « Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre roi Saint Louis » et de cette dédicace, que de Joinville espère bien que le jeune roi va prendre exemple de son grand-père Saint Louis.
Le Credo ou Li romans as ymages des poinz de nostre foi:
On a aussi de Joinville un Credo écrit en 1250 à Acre (Syrie), juste après son retour de captivité, et refait en 1287. Ecrit en prose, il s’agit d’un petit manuel destiné aux fidèles pour leur procurer le salut des âmes. Pour ramener les gens à la foi, il tente de révéler la vérité en s’appuyant sur les prophéties et l’ancien testament avec des images à l’appui. La profondeur de sa foi, qui reste cependant assez loin du fanatisme affiché par son suzerain, est bien affirmé dans ce petit ouvrage. Il y fait une exposition (présence de miniatures), commente et explique les symboles (Credo) des apôtres. C’est une profession de foi chrétienne dont « je crois en Dieu, le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui est né su Saint-Esprit et de la Vierge Marie… »
La lettre au roi Louis X (1315 :
La lettre que de Joinville adressé à Louis X en 1315 n’est pas également sans intérêt. Alors âgé de 90 ans il reçoit de son suzerain une convocation, au même titre que tous les barons, pour une expédition punitive contre le comte de Flandre qui refuse de prêter l’hommage qu’il doit à son roi. Dans sa réponse écrite en prose le 8 juin 1315, Jean explique que son âge ne lui permettra pas d’arriver à temps, mais qu’il allait s’y rendre…La lettre originale est conservée au département des manuscrits occidentaux de la Bibliothèque nationale
Epitaphe à son bisaïeule Geoffroi de Joinville (1311) :
Bien curieuse et longue inscription, gravée sur une pierre à côté du tombeau du défunt à l’abbaye de Clairvaux. Il retrace également la généalogie des seigneurs de sa famille. C’est comme un hommage à Geoffroy III, sénéchal du comte Henri le Libérateur, premier prince de Joinville à s’être distingué en croisade.
Hommages :
Sur sa tombe est gravé au XVIIe siècle l’inscription « ingenium (intelligence), candidum (loyal, droit, honnête), affabile (affable) et amabile (aimable) »
Jean de Joinville figurent parmi les 86 statues des Hommes illustres ou Hommes célèbres de France, installées en 1850 autour de la cour Napoléon du Palais du Louvre.
Autre hommage, une statue de bronze est élevée en 1861 à Joinville, sa ville natale.
Quelques écrits sur Joinville :
« Essai sur l’histoire de la généalogie des sires de Joinville (1008-1386) accompagné de chartes », Jules Simonnet 1875.
« Essai sur l’histoire de la généalogie des sires de Joinville (1008-1386) accompagné de chartes », Jules Simonnet 1875.
« Jean de Joinville et les seigneurs de Joinville », H. F. Delaborde 1894.
« Jean, sire de Joinville », dans Histoire littéraire de la France, Paris 1898.
« Le Credo de Joinville », dans « La vie en France au Moyen Âge », Langlois 1928
« Les seigneurs de Joinville, Humblot 1964.
« Joinville’s Histoire de saint Louis », Billson 1980.
« Joinville, historien de la Croisade ? », dans Les champenois et la Croisade », Strubel 1989.
« Etude des mentalités médiévales », Menard 1989.
« Joinville et l’Orient », L’écrit dans la société médiévale, J. Monfrin 1991
« La méthode historique de Joinville et la réécriture des Grandes chroniques de France » , Boutet 1998.
« Armorial et généalogie des seigneurs et des princes de Joinville et autres Joinvillois », François Membre 2012.